Carole Fives a publié un petit livre de 99 pages chez Gallimard en ce début d’année. Dans cette fiction vraisemblable, il est question de Charlène, seule, la soixantaine, en mal d’attention et d’affection. Souvent gagnée par la solitude et la vieillesse, elle téléphone à sa fille. Le livre retranscrit ses appels téléphoniques, sans jamais que l’on puisse y lire les réponses de sa fille. L’essence de cet ouvrage tient dans son titre simple et direct : Une femme au téléphone.
« Je ne te demande pas grand-chose, juste entendre le son de ta voix, même si tu ne me dis rien de bien passionnant. Pour toi, ce n’est rien, mais moi, ça m’aide ; je ressens vachement la solitude affective. »
A travers une écriture simple et orale, le lecteur découvre le portrait d’une mère et de sa fille, la première à travers ses appels tour à tour affectueux et accablants, la seconde dans les réponses qu’on l’imagine donner. Charlène est célibataire et a eu deux enfants, partis de la maison depuis longtemps. Pour autant, elle refuse de s’effacer de leur vie. La vieillesse pointe le bout de son nez et elle tombe malade. Face à la peur de mourir seule puis face à la peur d’être oubliée, elle accapare sa fille.
Le livre dresse le tableau d’une relation à la fois toxique et maternelle. Si Charlène pratique régulièrement le chantage affectif avec sa fille, le lecteur ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’égoïsme de cette dernière, qui apparaît tout autant comme une mère abandonnée, fragile mais aussi envahissante, voire odieuse. Une Femme au téléphone raconte l’histoire de petits et de grands drames, dans la relation ordinaire d’une mère et de sa fille où l’ego, la haine et l’amour s’entrechoquent.
« C’est bête que tu sois ma fille, je t’aurais préférée comme mère en fait. La vie est mal foutue »
Alors qu’elle vieillit, Charlène découvre qu’elle a aussi besoin d’être prise en charge. Encore plus lorsqu’elle se rend compte que sa fille va devenir mère à son tour. Le livre investigue ses tourments, sa volonté de rajeunir et de prendre la place de sa propre fille.
Devenir une vieille femme
« Allô ? Vous revenez quand ? Vous ne vous rendez pas compte ? Égoïstes ! Je suis là, je vais crever et, vous, vous allez travailler, vous voyez vos amis, comme si de rien n’était. »
Ce roman offre une lecture à la fois succulente et grinçante. L’écriture de Carole Fives, truffée d’humour noir, rend la personnalité de Charlène aussi exaspérante qu’attachante. On s’amuse de celle-ci avant de la prendre en pitié pour ensuite la détester. De ce fait, il est très facile de s’immiscer dans ce que l’auteure a pensé être l’imaginaire d’une femme vieillissante et seule, et le lecteur ne peut s’empêcher de ressentir de l’empathie pour cette dernière. Charlène connaît de vrais moments de douleur, s’ennuie, surfe sur des sites de rencontre ou part en vacances, sans jamais rompre le cordon avec sa fille.
L’écriture de Carole Fives, truffée d’humour noir, rend la personnalité de Charlène aussi exaspérante qu’attachante.
« Tu me laisseras encore un peu la poussette ? Je marche mieux avec, ça me fait comme un déambulateur. »
Vieillir hante ses pensées. Le livre fait office de « sursis » alors que l’avenir n’a plus la même signification. La façon dont Charlène utilise ce temps additionnel est d’ailleurs particulièrement jubilatoire. Elle est libre de dire n’importe quoi et de faire ce qu’elle veut. Après tout, il n’est plus question de réussir sa vie mais de profiter de sa vieillesse. Et quoi de mieux, pour cela, que de rechercher une liberté totale ?
La liberté de ton de Charlène se retrouve dans tout le livre. Elle joue avec les clichés qui entourent la vieillesse. La folie, la maladie mentale, l’oubli, la mythomanie, tout y passe. Elle dit tout ce qui lui passe par la tête, sans filtre, pour le plus grand plaisir (ou le plus grand effroi) du lecteur.
Finalement, cette liberté ne semble pouvoir être acquise que parce que Charlène se rend compte que sa vie va se terminer et qu’elle ne laissera pas de traces. Il en va de même pour le livre, une fois sa lecture achevée. Le lecteur garde l’impression que la fantôme de Charlène a traversé la pièce, sans laisser d’empreinte.
- Carole Fives, Une femme au téléphone, collection L’arbalète/Gallimard, Gallimard, 99 p., 14 euros, janvier 2017.