Pièce de théâtre à l’écriture engagée, poignante et intelligente, Les filles penchées n’est pas la première œuvre de Cécile Cayrel, artiste membre du collectif Les ateliers du vent. En effet, en 2018, elle avait reçu le prix de la Littérature de la Gare pour sa nouvelle Le samedi après-midi. Également poète, cette artiste aux multiples talents a pris soin de tous les mettre à profit dans sa nouvelle pièce de théâtre dont le sujet, l’écriture et le déroulement sont à la fois poétiques, romanesques et théâtraux. Grâce aux libertés prises dans l’écriture et la mise en page, elle laisse une place prépondérante à l’affect du / de la lecteur.ice et de l’éventuel.le metteur.euse en scène. C’est pourtant avec un aval scientifique que Cécile Cayrel a décidé d’écrire cette pièce de théâtre engagée.

Les Filles penchées, Cécile Cayrel

Historiquement ancrée, cette pièce met en lumière la façon dont les jeunes filles étaient traitées au XIXe et XXe siècle, à travers l’histoire de trois d’entre elles, issues de différentes décennies, que le hasard a menées au même endroit : le Couvent Saint-Cyr à Rennes. Sous couvert de « protection », 52 000 jeunes filles dites « de mauvaises mœurs » étaient enfermées, dans des lieux comme le Couvent Saint-Cyr, dans l’intention de les remettre sur le droit chemin avant la Seconde Guerre mondiale. Les Soeurs n’hésitaient pas à employer des méthodes presque barbares, laissant certaines pensionnaires amorphes, les rendant réellement incapables de prendre soin d’elles-mêmes. Les informations délivrées par Cécile Cayrel quant à la vie dans ce couvent proviennent d’archives, couplées à la lecture d’ouvrages scientifiques. Cet ancrage historique apporte une certaine légitimité à la pièce militante et politique. 

Une poésie féministe

On est un mauvais garçon parce qu’on FAIT quelque chose.

On est une mauvaise fille parce qu’on EST quelque chose.

C’est là toute la belle différence.

Quatre filles, quatre comédiennes, quatre danseuses, quatre porte-paroles donnent forme au refrain de cette poésie théâtrale composée par Cécile Cayrel. Appelées les filles penchées, elles deviennent le fil conducteur de la pièce, existant à travers le temps et l’espace. Grâce à leur anonymat, les filles penchées représentent toutes les filles que l’on accuse d’être des dévergondées, des vagabondes, qui ne répondent pas aux attentes genrées de la société. Elles sont la voix des femmes. 

Car 

Nous sommes les filles penchées 

Et 

bien que penchées, 

Nous

Dressons nos naseaux, 

Fièrement 

Nous

Ouvrons nos narines 

Fièrement. 

Et inspirons 

Aspirons 

Jusqu’à ce que viennent à nous, 

Les faits.

Les fréquents retours à la ligne permettent une lecture et une interprétation propres à chacun.e. Peut-être ce chœur de femmes est-il un cri commun. Peut-être, au contraire, ces cours vers traduisent-ils un partage de la parole, chaque voix poursuivant la pensée du groupe, en harmonie avec la précédente, offrant un rythme saccadé à une histoire commune douloureuse : l’histoire d’une domination masculine.