Avec Pauvre folle, Chloé Delaume nous présente avec un ton de gamine militante, une histoire d’amour épistolaire. L’éternelle histoire de l’amour impossible est ici mise à jour, la féministe et l’homosexuel engendrent leur propre fiction poétique. Il faudrait dépasser le catéchisme militant de Chloé Delaume, le ton et la psychologie adolescente employés, pour tirer une leçon de Pauvre folle : même les féministes lesbiennes politiques rêvent du prince charmant, fut-ce-t-il gay.

Pauvre folle de Chloé Delaume

Elle était féministe, comme de bien entendu ; elle était végétarienne, comme de bien entendu ; elle était LGBTQIA+ comme de bien entendu ; elle avait intégré la souffrance animale comme de bien entendu ; elle était éco-anxieuse comme de bien entendu… Voilà bien un roman davantage écrit pour le comité de lecture que par nécessité. Soyons certains, cet opus n’avait aucune chance d’échapper à la publication. Chloé Delaume nous livre Pauvre Folle et j’avais bien envie d’aimer cette histoire. D’abord pour le titre très bien pesé, ensuite parce que j’aime les histoires d’amour et leur fatalité à mal finir. Malheureusement, voilà un produit militant duquel une gamine peine à faire émerger la tragédie dans toute sa grandeur et sa beauté.

Dans Pauvre folle, on retrace la vie de Clotilde, une quinquagénaire au gré d’un voyage en train vers Heidelberg. L’artifice narratif bien huilé du fameux train des souvenirs nous semble un peu grossier et relever des trucs et astuces d’une personne ayant fait profession d’écrire. A chaque étape, on apprend un peu plus sur cette femme. On retrace légèrement son enfance et ses traumatismes, son adolescence et ses frustrations, et enfin sa pathétique vie d’adulte comme autrice militante. C’est d’abord l’assassinat de sa mère par son père avant son propre suicide qui nous est conté comme l’élément fondateur de l’héroïne. Elle puise dans le fameux féminicide originel pour se construire une conscience citoyenne et pour nourrir toutes ses névroses par la même occasion. L’adolescence est le lieu d’une quête de la poésie pour échapper à la trivialité du monde. Et l’âge adulte est celui de l’ironie du sort. L’âge où celle qui a décidé que les hommes sont l’ennemi tombe amoureuse d’un homme qui aime un autre homme. L’ironie du sort est le moteur de toute narration et c’est elle qui m’hameçonne malgré les scories idéologiques et stylistiques de ce petit roman. L’être aimé s’appelle Guillaume Richer, il est scénariste et se qualifie lui-même de pédé. Malgré et au-delà de ces obstacles, ces deux-là vont s’aimer et aimer s’aimer. Ils vont tisser une relation épistolaire et engendrer un couple mythique qui échappe au monde, elleetlui, le monstre et la reine, vivent avec la fraîcheur des adolescents, les transports de l’amour absolu. « Les histoires d’amour finissent mal, alors à quoi bon les commencer ? » La vraie question posée par Clotilde est : « Est-ce que la poésie peut dépasser le réel ? » Même si leur union est charnelle ponctuellement, discrètement, l’essentiel se passe par écrit et dans une impasse. Guillaume reste avec le beau Juan, et Clotilde seule.

« Le féminisme radical est-il compatible avec une vraie histoire d’amour hétérosexuelle ?

Heureusement qu’il s’agit d’une histoire d’amour car au regard de l’héroïne et de son milieu, on aurait pu croire être tombé sur le petit livre rouge du féminisme, un produit militant parfait.

Heureusement qu’il s’agit d’une histoire d’amour car au regard de l’héroïne et de son milieu, on aurait pu croire être tombé sur le petit livre rouge du féminisme, un produit militant parfait. C’est tellement caricatural qu’il m’est arrivé de douter, peut-être est-ce du second degré, peut-être est-ce le Gorafi ? J’ai même cru deux trois fois lire un poème de Philippe Muray, quelque chose proche du Tombeau pour une touriste innocente… « Être lesbienne politique, ça la rendait si fière qu’elle avait envie de s’en faire un tee-shirt. » Et puis après, je me suis demandé si Chloé Delaume n’était pas une Patrice Jean au féminin ? Après tout, elle nous plonge dans le totalitarisme woke, y campe l’histoire d’aujourd’hui, peut-être est-ce pour mieux tout déboulonner et glorifier l’être et la littérature… Malheureusement, le projet littéraire de Chloé Delaume n’a pas de double fond et nous nous vautrons dans ce catéchisme woke qui apparait comme le sauf-conduit de l’écrivain d’aujourd’hui : « Pour elle, seul importait qu’il restât sous le sigle LBGTQIA+, ne s’éloignant pas de l’égide du drapeau arc en ciel. » Elle aurait pu se contenter de participer à une table ronde d’une université d’été exclusivement réservée aux femmes sur le thème énoncé par Clotilde : « Le féminisme radical est-il compatible avec une vraie histoire d’amour hétérosexuelle ? » Elle a préféré en faire un roman.

Mais revenons à l’histoire d’amour épistolaire entre Clotilde l’écrivaine et Guillaume le scénariste. Au début, on flotte en pleine confusion, l’expression des sentiments se mélange avec toute une production de raisonnements psycho-sociaux des plus horizontaux. Mais petit à petit, la réalité de ce qu’est un amour absolu apparaît, certes sous un ton de midinette, mais néanmoins vrai. L’amour par correspondance fait vivre à notre héroïne une expérience mystique : « Ainsi Clotilde entra dans l’amour absolu comme d’autres dans les ordres. » La grande leçon de ce produit sur étagère est de nous révéler que l’amour absolu, la cristallisation, l’amour-passion, ne sont pas réservés aux grandes âmes. Même cette héroïne paumée engluée dans la modernitude éprouve les transports de l’âme. « Elle renonçait à ses valeurs, son éthique, sa morale. » Enfin ! Elle ne sera pas réduite à sa version militante. De quoi espérer à nouveau dans ce monde qui complote contre toute forme de vie intérieure ? Pas si vite, nous le savions déjà. Souvenons-nous d’Edouardo qui chanta : je t’aime le lundi, je t’aime le mardi, je t’aime le mercredi et les autres jours aussi. On avait appris à cette époque qu’un idiot pouvait aimer follement. Pourquoi pas une woke ? Cette leçon vaut bien une mauvaise chanson et un mauvais livre… 

  • Pauvre folle de Chloé Delaume, éditions du seuil, 240 pages, 19,5€

Crédit photo : © BALTEL/SIPA