À l’âge de six ans, le musicien Chapelier Fou découvre Le Roi et l’oiseau, film d’animation créé en 1980 par Paul Grimault sur des textes de Jacques Prévert. Très tôt séduit par la musique et le message contestataire, il regarde le film en boucle, faisant mûrir en lui l’envie de créer un disque concept à partir de l’oeuvre. En 2025, cette intuition éclot sous la forme du ciné-concert.
L’histoire, c’est celle d’un roi qui règne en despote megalo sur le Royaume de Takicardie. C’est un oiseau jovial qui le nargue et deux amoureux qui vont tout faire pour échapper au monarque orgueilleux. C’est le message, surtout, selon lequel la poésie est un acte de résistance au pouvoir oppressif. Signée Vladimir Kosma et Wojciech Kilar, la bande originale est ici adaptée par Chapelier Fou, dans une teinte électro.
Violon, synthés, guitare, violoncelle, melodica, harmonium… Ils sont quatre sur scène et la scène compte une quinzaine d’instruments. Tous virtuoses, les musiciens passent de l’un à l’autre avec une aisance déroutante qui conquiert la salle presque pleine. Que l’on soit enfant ou adulte, la musique et le film résonnent avec la même grâce, touchent avec la même force.
Entretien avec Chapelier Fou au Théâtre et cinéma Georges Simenon à Rosny-sous-Bois, où le spectacle se joue dans le cadre du festival Silence.
Morgane Gander:Quelle est la genèse du projet, d’où est parti ce désir d’adapter le roi et l’oiseau en ciné-concert ?
Chapelier Fou : C’était un des seuls films que j’avais le droit de regarder et je le regardais en boucle. Il m’a beaucoup influencé musicalement, c’est d’ailleurs l’un des premiers films que j’ai samplé. J’ai toujours eu envie de faire quelque chose avec ce film, je pensais d’abord à un album concept quand j’étais au lycée, mais je n’avais jamais rien fait. Il y a quelques années, j’ai été contacté par Canal+ pour une émission où plusieurs musiciens étaient invités à parler de musiques de film et j’avais choisi de parler du Roi et l’oiseau. À la suite de ça, j’ai eu envie d’en faire un ciné-concert, sans être particulièrement attaché à cette forme-là. J’adore la musique et le film et je me sentais légitime parce que je connaissais très bien l’œuvre.
Morgane Gander:Ce film résonne-t-il en toi aussi fort que dans ton enfance ? Quelle est la différence entre tes niveaux de lecture avant et aujourd’hui?
Chapelier Fou : Je crois pouvoir dire qu’il n’y en a pas, et que j’avais compris l’essentiel du film dès la première fois que je l’ai vu, quand j’avais environ six ans. J’avais compris que le film avait pour but de nous énerver contre le système. Les vertiges que je ressentais quand j’étais petit sont presque intacts aujourd’hui ; les silences, l’infinie des étendues, cette représentation du monde qui n’existe pas dans la réalité. Cela me procure toujours les mêmes impressions, qui me rappellent parfois l’esthétique sonore de certains films de Jacques Tati.
Morgane Gander:Tu as commencé à apprendre la musique très tôt, est-ce plutôt le film ou sa bande son qui t’a séduit en premier ? Ou peut-être est-ce l’œuvre dans son ensemble ?
Chapelier Fou : C’est l’œuvre dans son ensemble, mais c’est en grande partie parce que j’ai été marqué par la musique que je sentais que j’avais la possibilité d’en faire quelque chose. Néanmoins l’application concrète d’en faire un ciné-concert a été moins facile que ce que j’imaginais ; si je me réjouissais de pouvoir exploiter ce qui me touchait vraiment (les carillons, les escaliers, les courses poursuites, la musique du générique…), j’appréhendais de jouer d’autres parties qui m’inspiraient moins et finalement, il se trouve qu’on a quand-même du plaisir à les jouer.
Morgane Gander:La bande originale est signée Kosma et Kilar, quel regard portes-tu sur leur travail ? Le travail d’adaptation s’est-il fait avec un regard critique ou simplement dans un élan d’interprétation et de réinvention ?
Chapelier Fou: Le film a été fait en deux temps, la musique de Kosma est associée à la première version du film qui date des années 50, qui est la musique intra-diégétique et à laquelle nous n’avons pas touché. On arrange uniquement la musique de Kilar et c’est une musique touchante, plaisante à jouer. Il y a des pages plus ou moins subtiles car on est souvent dans le domaine du pastiche, mais même si c’est plutôt traditionnel et pas très novateur, c’est ici très bien fait. C’était assez drôle pour nous de les reprendre, qu’on les joue telles quelles ou qu’on en fasse autre chose.
Morgane Gander:Les thèmes originaux ont été conservés dans ta composition, dans quelles mesures as-tu cherché à t’en affranchir? As-tu eu besoin de t’en distancier pour créer quelque chose de nouveau ?
Chapelier Fou : On joue les pages pastiche telles quelles et sur celles qui sont plus intéressantes je me suis amusé à les arranger, rajouter des synthés, des productions électroniques, presque techno. Je me suis permis d’appuyer vraiment le trait et de prendre plus de libertés. Il faut savoir que nous sommes aussi limités par des contraintes liées aux droits qui nous imposent de conserver la partition originale. C’est pour ça que dans l’ensemble, on s’...