Après son premier roman Insatiable, Claire Von Corda remet sa plume au service de l’érotisme avec Obsessions, un deuxième roman brûlant et audacieux qui interroge sur la place de la sexualité à notre époque. Un entretien d’Estelle Derouen qui explore les différents aspects de cette pornographie moderne aux multiples messages.
Vous avez écrit Obsessions paru chez Média 1000 dans la collection Les nouveaux interdits après votre succès Insatiable que l’on peut trouver depuis cette année dans la très belle collection des Lectures amoureuses aux éditions de la Musardine. Comment résumeriez-vous Obsessions qui est votre deuxième roman ?
Obsessions parle des questionnements de Graham sur sa vie. Il s’agit d’un homme adulte, en couple avec des enfants qui vivent dans une grande ville. Il se lasse, sa sexualité l’ennuie et se demande si cette baisse de libido, ce désintérêt pour sa femme ne viennent pas d’un changement d’orientation sexuelle. Alors il teste d’autres partenaires et surtout d’autres pratiques. Il est sur ce point de rupture, quand tout menace d’éclater parce qu’il y a un ras-le-bol général qui perdure depuis trop longtemps. Par hasard, il va retrouver une ancienne connaissance qui va lui proposer une cure dans une sorte de centre de soins qui pourrait peut-être lui apporter des réponses…
Qu’est-ce que ça fait de sortir un roman érotique ? Vous vous voyez rester dans ce registre-là ? Parce qu’on le sait, c’est un genre mystérieux et intimidant pour certains.
J’aime l’idée que ce soit mystérieux et intimidant. Je dirais que ça provoque une certaine joie, un étonnement renouvelé sans cesse, une grande satisfaction et un accomplissement dont je suis assez fière ! Ce genre littéraire colore peut-être mon sentiment si je suis honnête. Ça le colore différemment parce qu’on sait qu’on ne pourra pas en parler à tout le monde et que si on décide d’en parler, ça suscitera forcément des questions. Mais justement, ça gonfle aussi la publication d’une aura de mystère comme vous dites, et ça rajoute même un côté “badass” pour reprendre le terme d’un proche.
La première fois qu’on publie ce genre de texte, c’est un peu comme un test dans le sens où l’on découvre les réactions des gens, positives et négatives. On apprend, on observe et puis la deuxième fois, c’est pareil en pire parce qu’on connaît un peu plus les règles, la façon dont les choses se passent, ce qu’on attend du texte, de l’auteur etc. Alors peut-être qu’on met la barre plus haut, enfin je parle pour moi. Je me mets la pression en me disant, « ils ont trouvé ça dingue, on va voir si je peux faire mieux ». Cela dit, je ne me fixe rien. J’ai des manuscrits qui attendent un éditeur, des manuscrits non porno aussi. Le registre pornographique est une liberté, j’y tiens beaucoup et par conséquent j’aime ce registre mais j’ai d’autres projets de textes. Par choix, je me vois continuer dans ce registre, chercher encore tant la matière érotique est dense. Ne l’explorer que dans deux romans n’est clairement pas suffisant. Je dis ça mais il est possible que rien n’aboutisse.
D’ailleurs, que pensez-vous de sa « place » et de sa considération ?
Je trouve ça dommage et triste de réduire le roman érotique et pornographique au scandale et de le connoter de façon si négative. Il y a une forme de honte, c’est certain. On m’a souvent demandé pourquoi je n’avais pas utilisé de pseudo pour mes romans pornos. La vérité c’est que pour moi, il y a d’abord l’écriture, et la mienne est au service de l’érotisme. Je ne vois pas ce qu’il y a de dégradant là-dedans. Il n’y a pas de concours de genre littéraire, seulement des bons et des mauvais textes.
Le fait que cette littérature parle aux sens, au corps, met à mal sa bonne considération, comme si la sexualité était à taire. Je trouve ça très paradoxal à notre époque qui se prétend assez libre sur la question. On ne parle pas de sexe ouvertement alors que certaines tenues vestimentaires le suggèrent de façon décomplexée. Attention, je ne dis pas que je suis contre la mini-jupe et le legging moulant, seulement que le grand écart entre les propos tenus et les comportements me laisse perplexe. Et puis même, serait-ce aussi grave de ne penser qu’à ça ? Si écrire de la pornographie est l’acte de rébellion ultime dans notre société, c’est que celle-ci est intellectuellement pauvre. Mais puisqu’il en est ainsi, alors pour moi, écrire de la pornographie demeure un acte de résistance contre nos modes de vie actuels, adoptés sans réflexion.
pour moi, écrire de la pornographie demeure un acte de résistance contre nos modes de vie actuels, adoptés sans réflexion.
De toute façon, écrire est un acte de rébellion politique par nature dans ce monde capitaliste. Dès lors que l’on consacre son temps libre à autre chose que des activités plus universelles, qui nous incite toujours à consommer pour tout et rien, ou que l’on décide de vivre plus modestement pour pouvoir travailler son art, alors oui, c’est bel et bien politique.
Comment l’idée de ce roman vous est-elle venue ? Comment fait-on pour se mettre dans la peau d’un homme quand il s’agit justement de sexualité ?
J’avais écrit des textes érotiques sur un homme qui se cherchait sexuellement. Cette idée m’est venue en parlant avec des garçons. Constatant que plusieurs, autour de moi, se questionnaient sur les pratiques homosexuelles sans oser aller plus loin. Je voulais probablement mettre une voix aux interrogations de mes potes ainsi qu’élargir le champ de mes thèmes.
Ce n’est pas parce que je suis une femme que je dois me réduire aux personnages féminins, enfin il me semble. Je me disais que l’homosexualité féminine était sexy et divertissante telle que perçue et vécue du point de vue hétérosexuel. Par contre, deux hommes ensemble véhiculent, à mes yeux, toujours quelque chose de plus difficile à assumer et à avouer. Ce constat vient des remarques de mon entourage. Pour autant, je ne fais aucune catégorisation des sexualités en fonction des genres. Je pars d’un constat assez général, alors je me suis imaginée homme pour raconter ce qu’ils ne veulent surtout pas reconnaitre.
Se mettre dans la peau d’un homme demande de l’écoute, de l’observation et beaucoup d’imagination ! Je pense aussi qu’il faut faire tomber la frontière du genre dans le sens où de toute façon nous sommes tous des êtres vivants réduits plus ou moins aux mêmes peur et désir. Une fois les barrières et carcans lourds de l’éducation et de la société tombés, je crois, j’aimerais croire, que nous sommes juste tous des individus car tant de choses nous réunissent. Par exemple, la peur de la douleur d’une sodomie habite autant les femmes que les hommes alors pourquoi le reste serait différent ? La peur de ne pas plaire, de ne pas être un bon coup, d’être moche, tout ça constitue des angoisses que nous avons la joie de partager n’est-ce pas ?
Le livre se divise en deux parties, la première assez classique malgré ses nuances de fantaisies et de surprises, et la deuxième plus déconnectée du réel, de nos repères du moins, comme si vous vouliez échapper le personnage de notre société. Qu’aviez-vous envie de raconter sur l’influence de celle-ci au sujet de l’épanouissement de nos sexualités surtout à une époque où l’on ne cesse de dire que les jeunes « font de moins en moins l’amour » ?
C’est vrai, je me rends compte que je place toujours mes scènes de sexe extrêmes dans des zones marginales et des lieux cachés, comme si pour vivre ses fantasmes, il fallait s’extraire du quotidien… C’est peut-être parce qu’effectivement, notre société me semble trop lisse et polie. Notre époque et nos us et coutume concernant le sexe me semblent rigides, attendus et sans originalité. C’est peut-être lié à la peur du regard extérieur mais aussi par manque d’intérêt au fond. C’est vrai que j’entendais à la radio, que les jeunes en avaient marre des scènes de sexe au cinéma. Ces scènes feraient “ramer” l’intrigue. Pour le sexe, aujourd’hui, il y a les vidéos porno.
Je trouve ça très représentatif de notre époque dans laquelle on compartimente tout. D’un côté, la pornographie, de l’autre, l’intrigue, le cinéma, l’art, et toute une vision du beau. En fait, il y aurait la pornographie d’un côté et les sentiments, l’amour, la passion de l’autre. Je pense que tout cela est erroné, qu’il ne faut pas avoir peur de mélanger les domaines. Le point de bascule, la frontière, le moment où l’on passe d’une scène “classique” à une scène “sale” ou “porno” m’intéresse particulièrement.
Peut-être que notre société nous donne envie de fuir pour nous pousser à trouver des lieux qui nous ressemblent davantage. Soit elle nous endort et nous rend mou, soit elle nous pousse à chercher les marges et monter dans les tours.
Laquelle des deux parties de votre roman « Obsessions » vous a le plus amusée dans l’écriture ?
Évidemment, écrire les scènes de sexe m’amuse, ça éclate dans tous les sens. Mais je me demande si je ne préfère pas travailler justement les scènes qui se situent entre celles-ci et réfléchir à leur contexte. Oui, ça j’aime beaucoup, mais “m’amuser” ne serait pas le bon terme. En revanche, on peut le dire s’agissant des scènes porno et de la seconde partie du roman, bien que d’autres dans la première m’ont vraiment plu dans l’écriture.
La vérité c’est que j’aime écrire de tout et je peux éprouver différents plaisirs en fonction des scènes. Par exemple, il y a une scène de voyeurisme dans la seconde partie qui m’a bien fait marrer. J’aime explorer cette frontière de la folie via la pornographie et tenais à la montrer dans « Obsessions ».
Est-ce que le sexe c’est encore tabou, dans la vie comme dans les livres ? Que permet cette littérature ?
Bien sûr que le sexe c’est encore tabou, et la masturbation n’en parlons pas ! La sexualité chez les femmes, assumer d’aimer quelque chose, parait incroyable compte tenu des idées reçues. Il n’y a qu’à voir la réaction des hommes, et certaines femmes d’ailleurs, auxquels j’avoue écrire des textes érotiques et pornographiques. On voit tout ce qui traverse leur esprit pour ensuite arriver à une réaction embarrassée se voulant neutre. S’il s’agissait de romans en collection blanche ou de livres de cuisine, la réaction serait très différente. Écrire du porno est donc tabou en tous cas.
C’est pourtant une littérature qui me permet de faire tout voler en éclat comme les frontières et les trucs pénibles qui m ’enferment, aussi bien dans les thèmes que la forme. Quand j’écris, je me sens comme un ado qui se retrouve sans ses parents. C’est la fête. Je peux parler de ce que je veux, comme je veux, à partir du moment où il y a du sexe. Et le sexe, dans nos vies, il y en a partout, tout le temps. C’est omniprésent dans nos pensées, et ce n’est ni sale ni génial, c’est ainsi, alors pourquoi le taire ?
Et puis la littérature porno, avec ces airs de pas y toucher, questionne beaucoup nos rapports au monde, à nos corps, à l’Autre, autant sexualisé que corps secondaire. Ce registre questionne notre place, celle que l’on a et celle que l’on croit avoir. Il questionne la possibilité d’exprimer ses désirs dans notre quotidien, il réfléchit aux frontières justement, mentales, sociales, éducatives… Il interroge le fait de mettre sous silence certaines choses à certaines personnes dans certaines conditions. Et que se passe-t-il lorsque nous dépassons cette frontière ? Devenons-nous fous ? Sommes-nous malsains, inadaptés, malades ou même mauvais ? Ou est-ce simplement assumer le fait d’être un individu qui pense ?
Qu’est-ce qu’on cherche à provoquer à son lectorat quand on écrit un livre comme celui-ci ? Car on peut dire que vous utilisez la pornographie pour partager des réflexions philosophiques et psychologiques au-delà de l’aspect purement sexuel.
Bien qu’il s’agisse d’amener au-delà dans des réflexions plus poussées, le principal but est de communiquer l’envie de la masturbation. Du moins de provoquer un désir si fort, qu’il doive être assouvi rapidement, par la masturbation ou autre. Ensuite on peut réfléchir (rire).
La pornographie est perçue comme quelque chose de souvent répréhensible. Il faudrait totalement la bannir. Le vrai danger est la pensée unique, j’entends par là une unique façon de proposer et de montrer le sexe avec des corps identiques, des actes sexuels identiques… alors qu’il y a mille façons de s’envoyer en l’air. C’est ça que l’on oublie souvent de même que certains aspects comme la pilosité, les odeurs, les pores, les tâches, les creux et les bosses. On oublie parfois que nous sommes des êtres vivants, évolutifs, imparfaits et périssables et cet oubli nous rend malades et débiles. Peut-être devrions nous passer à autre chose. On réfléchit trop à savoir ce que sont le bien et le mal, on devrait faire et voir ensuite. C’est un débat dépassé de savoir si le porno rentre dans la catégorie littérature ou art. Il faut avancer et créer, on verra bien ce qu’il en sort.
Quelle est votre source d’inspiration principale ? Je pense à toutes ces idées de personnages ô combien variés dans votre livre.
Je m’inspire beaucoup des dessins et des bandes dessinées mais je donne aussi corps à des images auxquelles je suis confrontée dans la vraie vie. Je pense à des collègues de travail, des voisins, à des gens qui m’entourent. Par exemple, je peux me venger d’une collègue qui me saoule ou bien faire apparaitre un voisin qui m’obsède.
Le quotidien m’inspire, j’observe beaucoup les gens, je les écoute et la plupart du temps, je ne les comprends pas dans leurs actions. Ils font toutes ces choses auxquelles je ne pense pas ou dans lesquelles j’échoue. Je les trouve atypiques et incompréhensibles et cet éloignement vis-à-vis d’eux me facilite à les transformer et à les visualiser en tant que personnages. Mais dans la vie, c’est pénible de ressentir le monde réel comme n’étant pas réel tellement les comportements des individus me sont éloignés.