A 21 ans, Clément Bénech vient de faire paraître son premier roman, le drôle et délicat L’été Slovène. Zone Critique a partagé un pichet de blanc avec le (très) jeune espoir de chez Flammarion :
Il est quinze heures, Pigalle s’éveille. C’est à La fourmi, et plus exactement au 74 de la rue des Martyrs, que je rejoins Clément Bénech, accoudé depuis le début de l’après-midi sur l’une des tables qui borde la devanture vitrée de la brasserie. C’est que, l’endroit semble stratégique en effet pour accrocher de l’œil, au milieu d’une lecture (Jean-Bertrand Pontalis en l’occurrence), le badaud inattentif, le geste anodin, le regard qui en dit trop, bref, un peu de matière pour un prochain roman.
Mais pour l’heure, il est plutôt question de L’été slovène que le jeune et prometteur Clément Bénech vient de publier en mars dernier chez Flammarion. L’histoire en quelques mots ? A lire la quatrième de couverture, « les instantanés d’un amour qui décline et qui, malgré la bonne volonté des deux amants, court inexorablement vers sa fin ». Certes oui, mais encore ? « Je ne sais pas s’il y a vraiment une intrigue, mais je peux parler des personnages. Il y en a deux, le narrateur qui n’a pas de prénom, et une jeune fille dont on ne sait rien du passé, car le récit commence in medias res, comme on dit dans les bonnes maisons. Et voilà donc un jeune couple, qui sillonne la Slovénie, pays méconnu d’Europe du sud. Et puis ils leur arrivent pas mal de choses, et tout cela dans le cadre d’une relation qui s’étiole, enfin je ne sais plus comment dit exactement la quatrième de couverture. C’est assez compliqué puisque, comme tu le vois, il n’y a pas spécialement de but. » Ah oui tiens donc, et pourquoi ça ? «Je pense que, lorsqu’on écrit, il faut voir ce que l’on décide de prendre ou non dans l’histoire littéraire. Bon, les trois grands trucs, ça reste le sujet, les personnages et les péripéties. Moi je prends les deux derniers, mais le sujet ne m’intéresse pas. La vie n’a pas de sujet. Je suis tombé récemment sur une très belle phrase de Paul Valéry, qui dit : l’objet de la littérature est indéterminé, comme l’est celui de la vie. C’est assez vrai, non ? »
Les trois grands trucs ça reste le sujet, les personnages et les péripéties. Moi je prends les deux derniers, mais le sujet ne m’intéresse pas.
Ce qui l’est en tous les cas, c’est que si Clément Bénech vient à 21 ans de publier son premier roman, L’été Slovène est le quatrième qu’il a écrit. « Je ne lisais pas spécialement avant le Bac. J’étais fan de Basket de manière absolue à l’époque, et rien d’autres ne m’intéressait. Je lisais en gros pour les cours, sans plus. Je suis revenu à la lecture à travers un livre sur le Basket, un polar de Harlan Coben du nom de Faux Rebond je crois. Et puis le Portrait de Dorian Gray, que j’ai ouvert un jour en terminale, a eu sur moi un effet révélateur, et réveillé un désir d’écrire qui restait enfoui ». Lecteur sur le tard donc, mais romancier précoce. Et, est-ce donc si dur de se faire publier ? « C’est toujours gênant de répondre à cette question. Si je dis que ce n’est pas difficile je parais présomptueux, et si je dis que c’est très compliqué cela donne l’impression que j’ai triomphé d’une épreuve incommensurable. Non sérieusement, je peux dire que c’est difficile car j’ai une belle collection d’au moins une soixantaine de lettres de refus chez moi pour mes précédents romans. Un éditeur m’a même dit d’arrêter d’écrire lorsque je lui ai envoyé mon deuxième livre. » Pas de découragement pour autant ? « Pas du tout. Après le Bac, je me suis vraiment dit que l’écriture devait précéder absolument tout le reste. »
Je trouve qu’un véritable artiste écrit avec ses propres obsessions. Et on ne peut pas être obsédé par l’alpha et l’oméga
Et les romanciers de prédilection dans tout ça ? « Et bien après le déclic Wilde, il y eut Patrick Modiano. Modiano, je l’ai d’abord acheté pour la consonance de son nom, et puis son titre Dans le café de la jeunesse perdue. Maintenant je trouve cela un peu plus ridicule, mais à l’époque cela m’avait beaucoup marqué. J’ai adoré le livre et l’ai lu plusieurs fois, et puis j’ai finalement lu tout Modiano, ou presque ». Pourtant Modiano c’est un peu toujours la même chose, non ? « Écoute, je trouve qu’un véritable artiste justement écrit avec ses propres obsessions. Et on ne peut pas être obsédé à la fois par l’alpha et l’oméga, par le coq et l’âne, non ? Je pense que c’est parce que c’est quelqu’un qui a un véritable univers, contrairement aux fabriqueurs de livres, qui confectionnent un sujet par matin. J’ai l’impression qu’un véritable romancier écrit des livres qui lui sont nécessaires, et ne peut donc pas écrire sur une chose et son contraire. ».
On attend donc, et avec impatience, le prochain roman de Clément Bénech pour appliquer cette théorie à son auteur. Mais pour l’heure, avançons tout au moins que l’humour absurde, le charme triste, et la tendresse de L’été Slovène, ne nous font pas douter du résultat.
- L’été slovène, Clément Bénech, Flammarion, 127 pages, 27 mars 2013, 14 euros.
Propos recueillis par Sébastien Reynaud