Au Théâtre de la cité internationale, le festival Tendres monstres présente des spectacles et performances suisses. L’occasion de voir le metteur en scène, chorégraphe et acteur physique Martin Zimmermann poursuivre son travail avec Danse macabre.
Plastique du mouvement
Un cercueil de carton prend une grande inspiration sur un plateau en clair-obscur aux airs de décharge. Martin Zimmerman se cache derrière ce carton devenu paravent, se dérobe, puis son visage de squelette apparaît dans l’ouverture de ce castelet. Il claque des dents. C’est la mort qui ouvre ce bal sur une création musicale de Colin Vallon.
Quatre silhouettes différentes, aux spécialités complémentaires, évoluent dans un lieu jonché de plastique.
L’univers de Martin Zimmermann est entier et singulier. Son art est hybride, puisant dans la danse, le théâtre physique, la manipulation d’objets, dans un style qui lui est tout à fait propre. Drôle, sensible et absurde, chez Martin Zimmermann tout vit à chaque instant, y compris les racines capillaires et les pinces à déchet. Accompagné de trois individus grotesques, se façonne devant nous un carnaval morbide d’inspiration moyenâgeuse.
Ainsi, quatre silhouettes différentes, aux spécialités complémentaires, évoluent dans un lieu jonché de plastique, avec comme cime un petit cabanon à bascule (la scénographie a été imaginée avec Simeon Meier). Comme le tic-tac d’une horloge, cette maison à une pièce déséquilibre ses habitants, qui glissent, se prennent un mur, sautent au plafond ou s’agrippent à une rambarde.
Keeping on falling
C’est un ballet de chutes, d’accidents minuscules puis d’accidents spectaculaires.
À leur manière, ces individus s’organisent, trient les déchets, ou les déplacent, réinventent leur usage, font de la place et se trouvent à nouveaux submergés. C’est un ballet savamment orchestré et par les impressionnantes physicalités de ces interprètes : Tarek Halaby, danseur, Castafiore et aspirant·e à un prix de beauté who feels amazing !, tout en cheveux longs et vocalises, Dimitri Jourde, clown sensible, vieil homme en proie à la solitude, sujet aux caprices de sa jambe de bois et parfois colérique quand il demande de l’aide à un spectateur et Eline Guélat contorsionniste clownesque évoluant entre l’araignée et le mannequin de papier kraft, qui s’accorde parfois une tendresse avec un pied caressant sa joue.
C’est un ballet de chutes, d’accidents minuscules puis d’accidents spectaculaires, d’accouchements et de petites morts qui se succèdent sans décourager complètement ces punks qui se battent contre un rien. Un rien, pas exactement. Contre des fantômes, ou contre la mort qui les guette.
La marge comme espace du commun
Par l’amplification de ces petits gestes et l’exagération de certains temps, on est soudain ému.
La pièce explore les errances de ces personnages en marge par un déplacement constant d’images initialement quotidiennes. Ce sont des instants de vie chorégraphiés à l’absurde, réinventés par le clownesque qui s’invite dans toutes ces micros-situations. Par l’amplification de ces petits gestes et l’exagération de certains temps, on est soudain ému : un cri trop longtemps poussé, deux yeux qui ne cessent de s’écarquiller, un vieil homme assis seul à une table face à un verre vide. Une impression reste : celle d’avoir accès à la spatialisation des sensations.
Et le spectacle, malgré sa dimension plastique, n’impose pas toutes les images. Le spectateur peut lui aussi développer les situations : on y voit et ajoute du vent ou le ressac des vagues, un clair de lune ou une folie propre. Il faut saluer ici la création musicale et sonore et la scénographie qui explorent elles aussi le sensible et accentuent l’impression d’avoir accès aux états traversés par ces personnages.
En décalant et renversant les rapports épicentriques, Martin Zimmermann réussit à faire cohabiter.
La représentation de ces marges et étrangetés est une manière de nous interroger sur nos propres conceptions. Qu’est-ce qu’une marge ? En décalant et renversant les rapports épicentriques, Martin Zimmermann réussit à faire cohabiter. Une petite société est sur scène, avec ses conflits, ses solidarités émergentes, ses déboires, ses inquiétudes et ses illusions. Quand bien même la mort rode, ils sont toujours, pas toujours immédiatement mais finalement, en mouvement.
Leur force est d’être capables de métamorphoses, somme de talents leur permettant de survivre dans ce lieu pourtant hostile. Ces quatre figures ont, au final, joué avec la mort, en ont ri, et c’est avec des sourires de gargouilles que les artistes viennent saluer aux applaudissements, comme pour conjurer le sort.
- Danse macabre, conçu, mis en scène et chorégraphié par Martin Zimmermann, avec Sabine Geistlich à la dramaturgie et interprété par Tarek Halaby, Dimitri Jourde, Methinee Wongtrakoon, Eline Guélat (en alternance)et Martin Zimmermann.
À découvrir du 18 au 20 octobre 2023 au Maillon, Théâtre de Strasbourg.
Crédit photo : © Basil Stücheli