Jeune diplômée d’une licence de psychologie, Déborah Costes a été contrainte d’arrêter ses études et de faire face à une précarité aussi bien financière que médicale. C’est dans ce contexte qu’elle décide de se lancer dans le travail du sexe depuis sa chambre et dans la maison paternelle. Dans son premier ouvrage, Reprendre corps, elle retrace son parcours de camgirl, d’escort, de dominatrice, explorant la manière dont ce choix lorsqu’il est délibérément acté, peut devenir un levier de libération féminine.

« Mon reflet ne me fait plus peur. Pire, je l’apprécie. Parfois même je m’excite en me branlant devant mes clients. Je jouis de moi. »
Bien plus qu’un roman sur une travailleuse du sexe, Reprendre corps est une histoire de vie, un apprentissage de soi dans une société classiste, patriarcale et misogyne. À travers ce qu’elle appelle sa « puterie », l’autrice retrouve sa place dans une société qui l’avait marginalisée. Pourtant, cette « puterie », fil rouge de la narration, n’est qu’une surface, en tant qu’elle aborde des sujets rarement mis en avant dans la littérature : la maladie, la pauvreté, l’insécurité, les violences physiques et symboliques.
“Reprendre corps est une histoire de vie, un apprentissage de soi dans une société classiste, patriarcale et misogyne.”
Le travail du sexe : une récupération sexuelle féminine
Alors que la France poursuit son chemin vers une politique abolitionniste (pour l’abolition de la prostitution) et que les violences de genre sont davantage discutées, les travailleur.euses du sexe sont, quant à elleux, écarté.es du débat public. Angle mort de la médiatisation, ce travail qui a pourtant été démocratisé par des plateformes telles que Onlyfan ou Mym est encore aujourd’hui tabou. C’est ce que déplore Déborah Costes, notamment lorsqu’elle lie sexualité et prostitution non consentie.
« Mais la chatte c’est sacré. La chatte, ça ne s’utilise pas pour autre chose que pour faire l’amour avec l’homme de notre vie dans le but de procréer ou pour se faire violer […] Les hommes peuvent l’utiliser mais faudrait surtout pas qu’ils nous payent pour ça. »
En effet, une femme ne devrait pas utiliser volontairement sa sexualité, encore moins lorsque cet acte est fait contre rémunération. Nombre d’hommes qui la contactent essayent d’ailleurs de s’octroyer ses services sans la payer. Or, c’est exactement cette relation de clientèle qui fait de l’acte sexuel un acte consenti : « Le deal, donc, c’est de l’argent contre une prestation sexuelle. S’il est respecté, il n’est pas question de viol tarifé. S’il n’est pas respecté, il s’agit d’un viol. ». Pour cause, le corps des femmes est automatiquement considéré comme un objet sexuel. Dans une pensée patriarcale, il demeure impensable qu’une femme se réapproprie son corps et en fasse un outil de travail, plutôt qu’un objet soumis à l’usage et au désir d’autrui, notamment des hommes.
Une vie aux dépens des hommes
« Exister en tant que femme c’est exister en tant que pute de tous les hommes », explique la narratrice en référence à l’utilisation, parfois abusive mais banalisée, du corps féminin. Afin de souligner davantage la place des hommes dans sa vie et dans son travail, l’autrice consacre des chapitres entiers à une succession de phrases prononcées par des hommes, tant par ceux qui la dégradent que ceux qui se soumettent à elle. Leur particularité réside dans leur mise en page : sans majuscule ni point, si...