Dans Des gens sensibles, Éric Fottorino revient sur les années 90 comme on ouvre un vieux carnet de bal, à la fois ému et sidéré par la vitesse à laquelle tout s’est effondré. Un premier roman, une attachée de presse exaltée, un écrivain algérien menacé de mort: trio littéraire, affectif, amoureux, qui brûle de toutes ses forces dans un Paris où l’on croyait encore que la littérature pouvait sauver des vies. Trente ans plus tard, Fottorino ressuscite les visages aimés, les mots crus, les silences trop lourds et signe l’un de ses livres les plus intimes.

Paris avant Google ou la jeunesse sans GPS
Début des années 1990 à Paris. Avant les smartphones, les stories, les réseaux. Fosco, jeune auteur inconnu, dépose un manuscrit. Clara, attachée de presse flamboyante et insomniaque, le découvre et l’élève. Dans son regard, il devient écrivain. Pour lui, elle est une étoile traumatisée qui respire littérature.
Le style de Fottorino épouse cette tension : haletant, parfois suspendu. Il ne raconte pas un amour, mais une initiation : à l’écriture, au déracinement, à l’engagement. En décrivant Clara, il note : « Toute diminuée qu’elle était, ou justement parce qu’elle l’était, Clara éprouvait mieux que personne les vertiges de la littérature, ses sommets sans air, son souffle à tout renverser, ses parfums violents, ses états d’urgence ». Clara est de ces filles qui laissent dans leur sillage un parfum d’évidence, et cette irrépressible envie d’un baiser au moment de se dire au revoir.
Trois trajectoires, une même brûlure
Saïd est écrivain algérien exilé, menacé par le FIS et le GIA. Ses livres sont des cris. À Paris, il est toléré, puis oublié. Fottorino rend hommage à cette figure de résistance, à son amitié avec Clara et Fosco. L’auteur évoque leur rencontre avec le cinéaste Bouguermouh et son rêve de tourner un film en amazigh : « Une œuvre qui serait tournée en amazigh, la langue des siens, pour que la terre entière connaisse enfin cette expression unique de révolte et de poésie ».
“Il ne raconte pas un amour, mais une initiation : à l’écriture, au déracinement, à l’engagement.”
Ce n’est pas un triangle amoureux, mais un croisement de destins. Clara, Saïd et Fosco s’admirent, se heurtent, et se transforment. Clara est la passeuse. Saïd, le frère d’encre. Fosco, l’apprenti qui...