Zone Critique revient sur le dernier film de Dominik Moll, Des nouvelles de la Planète Mars, qui nous plonge dans la vie monotone de Philippe, ingénieur informaticien divorcé, que la rencontre avec Jérôme, un collègue légèrement perturbé, va transformer en chaos.
« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » a confessé Pascal. Mais pour Philippe Mars, astronaute professionnel —dans ses rêves exclusivement—, il n’en est rien. Tout l’onirisme du film Des nouvelles de la planète Mars, Dominik Moll est contenu dans les leitmotivs fantastiques rythmant le récit tel l’air d’opéra favori de Jerôme, collègue ahuri de Philippe qui va transformer sa vie.
Les sept plaies du monde moderne semblent s’abattre tranquillement mais sûrement dans la vie monotone de notre anti-héros par excellence : un François Damiens livrant une prestation « sérieuse » de père de famille dans la même veine que ceux qu’il campait dans La famille Wolberg, ou La famille Bélier… Des rôles qui nous font oublier le François l’embrouille des origines tout en conservant l’aura de ce personnage drolatique qui lui colle à la peau. Ici, ce qui nous fait nasarder, ce sont plutôt les électrons libres —de sa famille, soeur artiste caricaturale et adolescents idéalistes en crise, à ses collègues de bureau bons pour l’asile— qui gravitent autour de M.Mars. Son incompréhension stoïque face aux attitudes facétieuses de tous ces ovnis suscite un rire jaune, nerveux.Face à lui dans le ring de l’openspace, l’on découvre un Vincent Macaigne qui malheureusement ne se défait pas de son habit de clown triste qu’on lui connait trop bien, mais qui parvient àcréer avec sa partenaire Veerle Baetens (l’internée phobique du contact humain) une alchimie attendrissante.
Obscurité splendide
L’obscurité splendide et troublante dans laquelle nous plonge le film presque jusqu’à la fin, le parti-pris d’une action se déroulant le plus souvent nuitamment rajoutent au coefficient fantasmagorique du scénario. Si ce dernier dévoile une fin légèrement attendue (mais tout de même agréable par sa luminosité), il puise sa richesse dans une série de gags grotesques qui soulagent le destin appesanti du marsien de protagoniste. Le comique rabelaisien y trouve sa place, entre le dégueulis du chihuahua et la moussaka liquide qui vient couronner un diner (foiré) galant. Le rire se fait alors politesse du désespoir ; et ne gardons que ces éclairs d’hilarité absurde pour oublier un peu l’aspect moral qui traverse l’oeuvre du réalisateur franco-allemand.
Finalement, le plus jouissif dans tout ce joyeux bordel est sûrement l’usage déluré que Dominik Moll fait de la parole
Finalement, le plus jouissif dans tout ce joyeux bordel est sûrement l’usage déluré que Dominik Moll fait de la parole. Celle-ci y est couronnée reine du grotesque dans le contexte pourtant le plus lambda qui soit. Les dialogues se jouent des mots ; ils prennent une place folle au gré des lubies des personnages, mais alors une très grande place pour Philippe, tentant de sauver le bateau ivre du langage qui sombre avec son entourage. Tour à tour choqué par un texto, à son goût trop cru, que son fils reçoit d’une camarade de classe ; fatigué des missions d’informatiques aux noms de code mythologiques qu’on lui confie au bureau ; perplexe face au terme de « loser » que le copain de sa fille lui jette à la figure, et en désaccord avec le nouveau nom d’artiste de sa soeur, « Xanaè » (alias Fabienne) … L’immeuble qu’habite Philippe se transforme en véritable tour de Babel dans laquelle les langues ne se délient absolument pas pour mieux se relier, bien au contraire. Et c’est cet échec répété de la communication qui, tourné en dérision mais toujours avec amertume, enchante le spectateur.
- Des nouvelles de la planète Mars, de Dominik Moll, avec François Damiens et Vincent Macaigne, en salles le 9 mars 2016.
Lucie Bach