Zone Critique est parti à la rencontre de l’écrivain et président à vie du Club des Ronchons Alain Paucard, à l’occasion de la parution de son essai Paris, c’est foutu ! Un titre qui en dit long…Entretien sur la disparition de Paris, avec un nostalgique qui se réclame de « nationalité parisienne », et qui pour Zone Critique revient sur son Paris, celui des écrivains et des cinéastes.
Pourquoi le Paris que tu as connu, et que tu évoques notamment dans ton récit Le roman de Paris, a-t-il disparu ?
Si le Paris d’aujourd’hui est foutu, c’est tout d’abord que le peuple parisien a disparu. Le peuple parisien est un peuple qui s’est formé de longue date. Il s’agissait en général de gens ne sortant pas de leurs quartiers ; peut-être ces gens allaient-ils sur le cours nouveauà partir de Louis XV, c’est-à-dire sur ce qu’on appelle aujourd’hui les Grands Boulevards. Mais à partir du milieu XIXème siècle, au moment où il a fallu changer Paris, à cause des épidémies de choléra d’une part, et surtout parce que les gens commençaient à ne plus travailler dans leur quartiers mais bien plus loin, il a fallu faire passer des voitures hippomobiles, et pour cela des rues suffisamment larges. On a donc fait venir de nombreux travailleurs, notamment du Limousin et de l’Auvergne, qui sont devenus parisiens. Et ce sont sans doute eux qui ont donné le caractère « parisien-parigot » que l’on retrouve jusque dans les années 50, 60. Et, à partir des années 60, on jette ces gens, qui vivaient certes dans des taudis, en dehors de Paris, en banlieue, où on leur donne des HLM tout neuf…Deuxièmement, toujours à partir des années 60, il a fallu construire dans le style international. La première chose qui a été construite dans ce style, c’est le bâtiment de l’UNESCO. Par rapport à ce qui se construit aujourd’hui ce bâtiment est plutôt pas mal, mais c’est une abomination de l’avoir construit juste derrière l’Ecole Militaire. Enfin, toute ville s’est toujours construite en s’agglomérant la banlieue proche, et en la réorganisant. Or il n’en est pas question à Paris. Au contraire, on a mis une ceinture métallique supplémentaire autour de Paris après celle du périphérique : celle du Tramway. Et de cette façon Paris va mourir : le Tramway est une sorte de barrière d’octroi nouvelle.
Qu’est ce qui singularise le « peuple de Paris » que tu évoques ?
Il y a quelque chose qui est très particulier à Paris, c’est que le pouvoir communal s’est toujours opposé au pouvoir central, qu’il soit royal, républicain…On pourrait dire par-là que le peuple parisien est assez frondeur. Souvenez-vous des paroles d’Un gamin de Paris, la chanson de Mick Micheyl: « On le voit qui déguerpit / aussitôt qu’il voit un képi».
A travers cet assassinat de Paris, tu parles de quelque chose de plus large, le mondialisme. Tu as des mots assez terrifiants dans ton livre pour décrire ce phénomène….
Il règne en effet une sorte d’obsession architecturale quasi-maniaque, qui consiste à ce que toute ville ressemble à la capitale financière du mondialisme, c’est-à-dire New-York. De même à Londres, autre capitale du mondialisme, il n’y a que des tours. Il y avait un mot charmant du Prince de Galles, qui s’était fait beaucoup tapé sur les doigts à ce sujet, car il avait dit : « Les architectes à Londres ont faits beaucoup plus de dégâts que la Waffen ». Effectivement, ce qui est détruit par la Waffen, on le reconstruit ; mais ce qui est détruit par l’érection d’une abominable tour en béton armée très résistante, on ne le peut plus.
A ce sujet tu cites souvent la thèse 70 de la charte d’Athènes. Pour nos lecteurs pourrais-tu expliquer de quoi il s’agit ?
La Charte d’Athènes a été écrite par l’architecte Le Corbusier, bien qu’on l’ait présenté comme une réflexion collective. La thèse 70 affirme qu’il ne faut tenir aucun compte de l’environnement du passé lorsque l’on construit quelque chose de neuf. Cela signifie donc que l’hétérogénéit é est préférée à l’homogénéité. Mais en revanche, lorsque dans un quartier moderne on essaye de construire quelque chose de classique, alors là il y a des levées de boucliers. Ceci dit, dans l’esthétique, Le Corbusier a perdu la partie. C’est plutôt le Bauhaus qui l’a emporté, avec les murs-rideaux notamment, dont Jean Prouvé a été le grand maître : une esthétique sans la moindre décoration, froide et glaciale. Une architecture puritaine. D’ailleurs Le Corbusier devait être protestant…
L’émergence de cette architecture très froide va-t-elle de pair avec la disparition du « Paris des plaisirs » que tu évoques notamment à travers la figure d’Henri Miller ?
Non pas exactement. Ce qui a favorisé ce style, c’est surtout la crise du logement après la seconde guerre mondiale, qui a été terrible.
Ton livre est également une merveilleuse promenade à travers Paris et ce qu’il a inspiré aux cinéastes et aux écrivains.
Paris a même inspiré des compositeurs étrangers : George Gershwin avec Un américain à Paris, et Cole Porter avec une très jolie chanson, I love Paris. C’est très simple, quand une ville est agréable à vivre, les gens y vivent plus souvent qu’ailleurs. Mais Paris attirait également, car c’était une ville intellectuelle depuis le Moyen-Age, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire une ville où l’on trouvait des facultés, la Sorbonne par exemple. Paris est donc une source d’inspiration pour nombre d’écrivains. Je ne sais plus qui a dit : « C’est la seule ville au monde où le fleuve coule entre deux rangées de livres. »
Je ne sais plus qui a dit : « C’est la seule ville au monde où le fleuve coule entre deux rangées de livres. »
Quels sont les plus belles évocations littéraires et cinématographiques de ce Paris dont tu regrettes la disparition ?
Au cinéma, c’est incontestablement une série de petits films, les Etudes sur Paris d’André Sauvage, une véritable merveille poétique. Mais dans le cinéma ce qui est assez étonnant c’est que les décors non-naturels, c’est-à-dire fabriqués, sont généralement plus vrais que nature. Je pense par exemple à la place de banlieue dans Le jour se lève de Marcel Carné, ou le Marais de Jean Delannoy dans Maigret tend un piège. En littérature, pour moi il y a trois types de livres sur Paris. Il y a d’abord les guides, qui sont très intéressants. Le Paris secret et insolite de Rodolphe Trouilleux est ainsi excellent, pour qui aime se promener. De même, les guides verts ou le guide Michelin sur Paris permettent d’acquérir quelques bases. Ensuite, il faut distinguer le Paris objet ou le Paris sujet. Par exemple je n’aime pas vraiment Le piéton de Paris de Léon-Paul Fargue : je trouve cela mièvre et sans vie…Mais j’aime quand Paris est le partenaire du narrateur ou du personnage, et qu’il lui rappelle des souvenirs : pour moi la merveille est le Paris vécu de Léon Daudet. C’est le plus beau livre sur Paris. Ça ne m’intéresse pas dans mes livres de dire « avant il y avait ceci ou cela », mais plutôt « Tiens, dans cet immeuble j’ai eu une maitresse magnifique!».
C’est un peu le sujet de ton Roman de Paris…
Oui, Paris est un roman. Ce qui m’intéresse surtout, c’est ce que doit être le véritable promeneur : celui qui se baguenaude ; c’est-à-dire celui qui fait du lèche-vitrine. Mais d’une certaine manière à la campagne on fait aussi du lèche-vitrine avec les paysages…
Comptes-tu parmi tes évocations favorites de Paris Le paysan de Paris et l’Aurélien de Louis Aragon ?
Oui, Le paysan de Paris est très important car Aragon y décrit des choses qui n’existent plus. Dans les années vingt, on a percé la partie du Boulevard Haussmann qui commence à Richelieu Drouot et qui va reprendre le Boulevard Haussmann un peu plus loin. Aragon en parle dans son Paysan de Paris. Et puis au-delà de ça, Aragon est un immense écrivain, le plus grand poète français du XXème siècle.
Pourrait-on parler maintenant de quelques personnages que tu as connu de ce Paris-là ? Il y a par exemple une très belle évocation de Michel Fleury dans ton livre, un personnage un peu trouble…
Michel Fleury, qui était notamment archéologue, a dirigé la Commission du Vieux Paris pendant 40 ou 50 ans, avec une parfaite absence de démocratie, et heureusement ! Car il avait des intuitions formidables. Il a ainsi affirmé le premier que sous le Louvre actuel se trouvaient les fondations du vieux Louvre. Michel Fleury a été la terreur des entrepreneurs. C’est ainsi en construisant devant Notre-Dame un parking qu’a été découvert par Fleury la crypte de Notre-Dame. Il y a une plaque dans le musée Carnavalet, assez longue, que l’on peut voir en passant dans la rue des Franc-Bourgeois, derrière une grille…Ce n’est pas grand-chose : on pourrait tout de même donner le nom d’une rue à Fleury. Mais Michel Fleury n’était pas un ami, c’était une connaissance. Les gens dont je parle, Pascal Sevran, Pierre Gripari, Jean Dutourd et Jean Tulard, eux sont des amis. Ce sont des gens qui ont beaucoup compté et je voulais rendre hommage à ces grands parisiens. Et puis enfin il y a ceux que je n’ai pas connu mais qui sont aussi des amis, car tout écrivain qui à un moment ou un autre vous touche et vous aide à être meilleur est un ami : Henri Miller, Paul Léotaud, et bien d’autres encore…
Tout écrivain qui à un moment ou un autre vous touche et vous aide à être meilleur est un ami
Tu as cette très jolie formule à ce propos : « Tout aspirant écrivain est ou a été Henri Miller une fois dans sa vie »…
Oui, mais peut-être parce que je vous parle d’un temps qui a un peu disparu, où il y avait un côté « bohème » plus prononcé de l’écrivain, dans les années 60– 70…
C’est vrai qu’Henri Miller revient beaucoup dans cet ouvrage, et tu dis quelque chose d’intéressant : Henri Miller peut être considéré comme l’un des premiers écrivains de la Beat Generation.
Je crois que c’est même le précurseur. D’abord il n’a pas marché que dans Paris mais en Grèce aussi, dans un livre qui s’appelle Le Colossede Maroussi, qui est très intéressant car il y décrit le véritable écrivain : Il y a dans ce roman un grec inculte et qui ne sait ni lire ni écrire, George Katsimbalis. Mais en revanche c’est un merveilleux conteur oral. Et pour Henri Miller, un écrivain c’est avant tout cela: un conteur oral. J’avais un ami, Jacques Cellard qui fut philologue au Monde pendant vingt ans. Au début de sa contribution au Monde il me disait que pour qu’une phrase soit belle, il fallait qu’elle soit écrite dans un français parfait. Et puis il a changé d’avis, pour finir par me dire que si une phrase était belle à l’oreille, c’est qu’elle était automatiquement écrite en français. Et si ça cloche à l’oreille, il y a quelque chose qui ne va pas dans la syntaxe. On écrit avant tout pour l’oreille.
Ce livre est un peu désespéré. Penses-tu qu’aujourd’hui si l’on n’a pas connu le Paris que tu as connu, l’esprit de Paris dont tu parles dans ton livre peut-être porté par de nouvelles générations ?
J’ai toujours un peu une formation marxiste au fond : je crois toujours que quelque chose se développe sur une base. Pendant longtemps nous vivions dans une société sédentarisée. Quand on habite toujours au même endroit on cherche à ne pas le saloper. Si on se construit une belle demeure, on cherche à la rendre la plus belle possible pour ses enfants : c’est l’origine des collections d’arts. A partir du moment où l’on revient vers une société nomade, il est évident que l’on est plus intéressé par la beauté de l’endroit dans lequel on vit puisqu’on en change tout le temps. Même, on a l’impression d’avoir les mêmes tours dans toutes les villes du monde pour ne pas dépayser le voyageur de commerce…
Pourrais-tu nous expliquer ce qu’est le Club des Ronchons dont tu es le président à vie ?
C’est un spectre qui hante l’Europe. (rires). C’est un Club que j’ai fondé en 1986, qui est interdit aux femmes, aux enfants, aux animaux et aux plantes vertes. Le Club des Ronchons est contre l’idée de bonheur, qui est une notion totalitaire, et sa devise est « En arrière toutes ! ». Nous avons déjà écrits dix recueils collectifs, avec Pierre Gripari, Jean Dutourd, Hubert Monteilhet, Jacques Cellard, et bien d’autres…
Aurais-tu un livre, un film, et un album de musique à conseiller aux lecteurs de Zone Critique ?
J’ai vu le dernier film avec Jason Statham sur un scénario de Sylvester Stallone, Homefront, et ça déménage (rires) ! J’ai aussi lu un excellent recueil de chroniques parus dans La Montagne de François Taillandier. Mais je n’écoute plus de musique, et je ne vais plus voir d’expositions de peinture. D’abord je n’aime pas faire la queue, et puis, si c’est pour écouter des conneries ! Edmond de Goncourt dit bien que la chose qui entend le plus de bêtises, c’est un tableau dans une exposition.
- Paris, c’est foutu ! , Alain Paucard, éditions Jean-Cyrille Godefroy, septembre 2013, 186 p., 15 €
- Le roman de Paris, Alain Paucard, éditions du Rocher, 1993, 166 p.
Propos recueillis par Olivier François et Sébastien Reynaud le 17 janvier 2014