Présenté à la Quinzaine des Cinéastes lors de la 78e édition du Festival de Cannes, Enzo marque l’ultime collaboration entre Laurent Cantet et Robin Campillo. Ce récit d’apprentissage aux airs de chronique estivale suit les errances identitaires d’un adolescent en rejet de sa famille issue de la petite bourgeoisie provinciale. Dans ce long-métrage sensoriel, Robin Campillo livre un dernier hommage au cinéaste de ceux qui se cherchent, y déposant toute sa tendresse, indicible autrement. 

« Tu n’es qu’un petit bourge qui se raconte des histoires ». Phrase emblématique du film, ce cynisme soulève quelques rictus chez les cinéphiles bien installés dans leurs fauteuils molletonnés de velours rouge. Pour ouvrir la Quinzaine des Cinéastes, le Festival de Cannes rend dès son premier jour un hommage discret à Laurent Cantet, décédé en avril 2024. Lauréat de la Palme d’Or 2008 pour Entre les murs et connu notamment pour Ressources humaines (1999), Laurent Cantet laissait mûrir depuis plusieurs années le scénario d’Enzo. Afin de dire au revoir en cinéma à une amitié qui en est née, Robin Campillo, avec qui Cantet a coécrit quatre films, dont l’Emploi du temps (2001), a décidé de mener à bien cette cinquième collaboration.

À travers Enzo, les deux hommes ont souhaité livrer le récit initiatique d’un jeune homme de seize ans, apprenti maçon sur la Côte d’Azur. Rejetant son environnement familial bourgeois qui lui offre un quotidien paisible et solaire, Enzo, cherche à éprouver son corps et ses désirs sur le chantier, aux côtés de Vlad, travailleur ukrainien svelte et désinvolte.

Prenant le contre pied des précédents films de Laurent Cantet, ou de ce qu’avait pu montrer Ken Loach dans Riff-Raff, Enzo reprend à son compte la question du transfuge de classe, en contournant son aspect ascendant habituel.

Passer le flambeau

Du cinéma de Laurent Cantet, Enzo conserve cette manière de filmer le quotidien à travers une mise en scène sobre et immersive. Le film opte pour une proximité réaliste, renforcée par des plans serrés et des mouvements fluides, qui suivent les personnages dans leurs migrations pendulaires. De la maison au chantier, du chantier à la maison, rien ne dépasse réellement ce va-et-vient routinier. Là est tout le propos : prouver qu’il y a déjà tant à dire, tant à montrer dans les quelques kilomètres qui rayonnent autour de la Ciotat, si bien que même les rêves d’ailleurs y restent confinés.

Robin Campillo finit par effleurer des possibilités narratives qu’il n’explore pas. La guerre en Ukraine n’est que suggérée, romantisée en un au-delà viril, servant d’échappatoire aux incertitudes d’Enzo, comme une histoire que l’on se raconte. Le conflit apparaît comme le prolongement fantasmé de sa vie de chantier, où les corps s’éprouvent sous une hiérarchie installée, un terrain où l’éveil de son homosexualité se confond avec la réalité d’une lutte qui le dépasse.

“Robin Campillo cherche autant à raconter une histoire qu’à laisser en héritage le témoignage de sa complicité avec Laurent Cantet.”

Le désir brut et maladroit d’Enzo est d’autant plus touchant qu’incarné par la vulnérabilité délicate d’Eloy Pohu, étonnant dans son premier rôle. Cette volonté d’intégrer des acteurs profanes au casting – dont Maksym Slivinskyi dans le rôle de Vlad fait également partie – fait tout autan...