Adapter L’Événement d’Annie Ernaux au théâtre, c’est faire le pari de l’incarnation d’un texte qui, depuis sa publication en 2000, n’a cessé de nous rappeler la douleur qu’ont connue nos aînées. Avec ce seul-en-scène présenté au Théâtre de l’Atelier du 12 septembre au 19 octobre, les vendredis et samedis à 19h et le dimanche à 15h, Marianne Basler redonne voix et souffle à un récit qui nous rappelle qu’un droit ne devrait jamais être considéré comme acquis. Et à l’heure où l’avortement reste contesté dans de nombreux pays, ce geste artistique prend la valeur d’un acte politique.

Derrière cette mise en scène, il y a d’abord une rencontre. Celle d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022, dont le travail s’est construit autour de l’exploration de l’expérience vécue, dans toutes ses dimensions : le corps, la sexualité, la mémoire, les inégalités sociales. Son œuvre fait de la nudité un étendard ; toute sa vie durant, Ernaux a sacrifié sa vie privée pour dire l’intime comme un fait collectif. Sa force ne réside pas tant dans son style ni dans sa lucidité sociologique, comme certains le prétendent : nombre d’autres écrivains et universitaires ont déjà écrit ce qu’elle écrit avec plus ou moins de talent. Ce qui fait son unicité, c’est plutôt sa posture de grande sacrifiée de la littérature, de femme qui a renoncé à la pudeur, qui écrit comme si elle allait mourir le lendemain. Ce qui m’a toujours frappée en la lisant, c’est la manière dont elle pousse à relativiser sa propre misère, comme si l’exhibition éhontée de la sienne venait restituer une part de ma propre dignité. 

Face à elle, Marianne Basler, comédienne de théâtre et de cinéma au parcours riche et éclectique. Après avoir joué sous la direction de metteurs en scène majeurs et s’être confrontée à l’exigence des classiques, elle s’est rapprochée de l’univers d’Ernaux avec L’Autre fille, puis avec ce seul-en-scène inspiré de L’Événement. Touchée par une lecture publique en 2023, elle a décidé de faire entendre ce texte sur scène, convaincue que le théâtre pouvait prolonger l’écriture d’Ernaux et ouvrir lui aussi un espace de mémoire.

“Le choix du dépouillement permet de rendre toute sa force au texte : les mots d’Ernaux suffisent.”

L’Événement raconte la solitude d’une jeune femme de vingt-trois ans confrontée à une grossesse non désirée dans une France où l’avortement est interdit. Dans le premier roman qu’Ernaux avait publié chez Gallimard, Les Armoires vides en 1974, elle évoquait déjà son avortement illégal subi en 1964, mais sous une forme romancée ; dans L’Événement, Ernaux se met à nu, assumant pleinement ce qu’elle avait esquissé précédemment dans son œuvre, et c...