Poétesse et comédienne, Flora Souchier propose, en juillet 2024, son second recueil, Époque de plomb. « Entre trois répétitions et deux pratiques de sorcellerie, elle écrit avec urgence, nécessité, passion » nous informe le rabat de la couverture. Une rencontre avec la poétesse au Café-Librairie Michèle Firk, à Montreuil, fait à nouveau parler du livre. Des poèmes courts, incisifs, qui transpercent la page comme autant d’ « éclats », de « cris en gerbe ».

Époque de plomb compte à peine plus de cent pages, et est divisé en six parties : les cinq premières composent le recueil à proprement parler ; la sixième, s’intitule Epòca de plomb. La langue poétique reste simple et minimale, bâtie sur des « fusées » (pour reprendre un terme de Baudelaire), occupe le centre de la page et laisse la place au blanc ; poésie écrite sur le vide, sur le silence.

Alchimie et insurrection

Deux thématiques priment dans le recueil : l’alchimie et l’insurrection. Le titre évoque les « années de plomb » italiennes et cela n’est pas un hasard, confie la poétesse. L’insurrection est présente et incarnée, surtout dans la première partie du recueil, « L’heure de la chasse ».

Au premier mai

dans le cortège noir […]

pavés descellés dans les nuages […]

cris en gerbe

éclats

puissance en k-way

à perte de vue 

le piège

Nous voilà plongés en pleine manifestation, plus précisément celle du Premier Mai, la Fête des travailleurs, souvent marquée par une recrudescence des violences policières à l’égard des manifestants. Les « cris en gerbe » et les « éclats » jaillissent du silence comme au sein d’une manifestation, que le poème mime (rappelons que, selon Aristote, la poésie est essentiellement mimesis) ; entités polymorphes, pouvant évoquer aussi bien les slogans des manifestants que les cris de la police, ou encore les éclats de grenades de désencerclement, ou bien ceux de verre, de bitume. La « puissance en k-way » évoque, à n’importe quelle personne ayant déjà participé à une manifestation, la figure du Black Block, groupe informel de militants vêtus de K-Way noirs. L’insurrection s’empare du poème et le travaille de l’intérieur, exigeant de lui qu’il s’exprime en vers courts, parfois d’un seul mot : 

Gyros bleus partout

terrain de jeu des brutes

la sueur injuste

et la rue en larmes

gazé·es

debout

parer les coups

Mais le plomb n’est pas uniquement celui des balles : c’est le métal alchimique, symbole de la lourdeur, de la mélancolie, de la pesanteur – « Fût-ce un instant s’appesantir est perdre la chance » écrit Georges Bataille dans Le Coupable – destiné à être changé en or. Ce langage de l’alchimie, employé comme métaphore du soin, permet de déployer des images poétiques fortes. Lier alchimie et littérature n’est pas nouveau : déjà Rimbaud parlait d’« Alchimie du verbe », et André Breton (dont il faut encore, hélas ! parler) se choisit pour devise « Je cherche l’or du temps ». Mais ...