RENTRÉE LITTÉRAIRE. Après Petit Pays dans lequel un enfant de dix ans racontait le génocide rwandais, Gaël Faye signe un nouveau roman d’apprentissage tout aussi sensible et touchant. 

Milan naît en 1982 d’une mère rwandaise et d’un père français : Venancia et Philippe. Avant 1994, le narrateur n’a jamais entendu Venancia parler de la terre de latérite qui la vue grandir. Elle a toujours contourné le sujet, élude quand son entourage aborde ses origines. Même en ce mois d’avril de cette année maudite, alors que les massacres sont au cœur des journaux du soir, elle reste muette. Pourtant, Milan regarde avec sa famille les reportages qui semblent venir de si loin, et il ne comprend pas le sang, les machettes, l’horreur. Quand Claude arrive d’Afrique, frêle et mutique, Milan ne comprend pas davantage, et ce n’est pas Venancia qui lui expliquera, elle qui ne lui avouera jamais que Claude est son frère, et non son neveu. Puis l’enfant repart, sans plus d’explications. Les mois passent, l’adolescence s’invite dans la vie de Milan, les filles, les cours, la musique. 

Les pieds sur cette terre :

Deux ans plus tard, Milan découvre enfin un rhizome de ses racines lorsqu’il part un été pour le Rwanda, sa mère l’embarquant dans ses bagages sans bien lui laisser le choix. Plus qu’une découverte, c’est une rencontre avec une terre mystérieuse et profondément meurtrie que raconte Gaël Faye – les premières bouffées de l’air brûlant à la sortie de l’avion, le capharnaüm des rues, les maisons rustiques, les toilettes au fond du jardin qui asphyxient le jeune adolescent, toutes ces sensations étourdissant le lecteur de sensations étrangères. 

« Le taxi traversait une ville ocre au paysage grillé par la saison sèche, troué ici et là par de verts bosquets. Sur la chaussé pleine de fondrières, le véhicule bringuebalait, les roues soulevaient une latérite aérienne suffocante qui se répandait en un brouillard de poussière sur les malheureux piétons, les façades des bâtiments et la végétation environnante. »

Écœuré et perdu, Milan se laisse malgré tout gagner par un certain amour pour ce pays, par une fascination pour ceux dont il partage le sang mais pas encore les souffrances. Sa famille est tutsie et beaucoup ont été tués. Ceux qui restent sont traumatisés et abordent les faits de différentes manières que l’auteur retranscrit avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité. Milan laisse les silences en dire plus long que les mots, apprend à ne pas poser trop de question, à écouter, même quand les phrases en kinyarwanda l’égarent. Sa grand-mère parle un français étonnant – elle le vouvoie et ses manières ont quelque chose de touchant malgré la froideur de cette femme qui intimide le...