La file d’attente est chic, sage et attend avec impatience l’ouverture du vernissage de la grande rétrospective consacrée au peintre Gérard Garouste, l’un des grands artistes figuratifs contemporains français. C’est au Centre Pompidou, au sixième étage, que le visiteur a le plaisir de voir les grands ensembles du peintre. L’humour semble être le fil directeur de l’exposition, rien d’étonnant pour celui qui fut l’une des figures du Palace, adepte des dessins d’humour.
Une peinture d’envergure
L’exposition retrace l’œuvre monumentale du peintre à travers 120 tableaux, dont la majorité est de grand format et donne la place aussi à quelques sculptures et une installation remarquable. Ainsi, le visiteur a tout le loisir de saisir l’importance de Gérard Garouste dans le paysage artistique contemporain.
C’est à la fin des années 70 que Gérard Garouste se fait un nom. Tout d’abord aux côtés de Jean-Michel Ribes pour qui il crée de nombreuses scénographies. Puis, à partir de 1977 jusqu’en 1982, il pose ses pinceaux et son savoir-faire au Palace en tant que scénographe et décorateur. Le début de l’exposition témoigne d’ailleurs de cette période.
Ce sont les années 80 qui affirment son style et lui dessine une trajectoire de peintre figuratif. Après une exposition à la galerie Durand-Dessert, Garouste enchaîne les expositions où se mêlent une peinture mythologique et mystique. Puis, ses travaux pour les institutions comme le palais de l’Elysée ou encore la Bibliothèque Nationale de France, le consacrent et l’œuvre de Gérard Garouste s’inscrit dans l’histoire de la peinture contemporaine française.
La folie Garouste
Le peintre a toujours reconnu ses problèmes psychiatriques ou du moins depuis 2009 lors de la parution de son récit autobiographique L’Intranquille qui n’est pas sans écho avec le fameux ouvrage de Pessoa… Sans doute ses moments de délires psychiatriques, dus selon lui à son enfance et sa terrible histoire familiale, ont nourri ses œuvres qui sont marqués par une certaine fulgurance qui frôle la transe et la folie tant les couleurs et les gestes sont vifs. Là se révèle l’energeia du créateur.
Ses personnages sont des bouffons, des optimistes déçus, des illuminés en plein épiphanie, des Arlequins torturés, des personnages sortis de contes drolatiques qui forment une ronde des fous lors d’un carnaval où le roi est Gérard Garouste en personne, ce prophète qui crie tout en haut de la colline mais que personne n’écoute, car il est un grand enfant.
Le thème revient de façon récurrente dans les tableaux de Gérard Garouste : dans l’œil malicieux du personnage dans Pinocchio et la partie de dés, dans le dialogue de fous du tableau H’avrouta (La Martre et Pinocchio), dans la distorsion du Pont Neuf soudain surmonté d’une vieille synagogue entourée de personnages rouges ou encore dans Kafka et l’écureuil où Kafka apparaît comme distordu à la manière d’une anamorphose.
La folie se trouve aussi dans cette incroyable installation La Dive Bacbuc, sorte de manège inspiré du XIXe siècle dans lequel l’on pouvait regarder des images dans des petites jumelles. Entre le panorama et le diorama, cette salle se veut une immense fresque qui entoure ce manège dans lequel se trouve d’immenses peintures que le visiteur ne peut voir qu’à travers des jumelles, n’en apercevant ainsi que les détails.
Immersion mystique et contes merveilleux
L’exposition met aussi en lumière les grands ensembles mythologiques et religieux à travers lesquels Garouste explore, à la manière de Dante, l’univers du conte merveilleux où peur et fascination se mêlent dans une sorte de joie extatique.
On sent chez Garouste une inspiration du Greco dans les couleurs utilisées de la même manière que l’on semble apercevoir, parfois, du Delacroix dans le geste vif qui donne l’impression d’une esquisse. Les expressions des visages sont franches, le regard perçant. Si les tableaux de Gérard Garouste sont figuratifs, ils frôlent néanmoins l’abstraction, rendant alors la frontière entre le réel et le rêve poreuse. Là est le talent de Garouste : de nous plonger dans l’univers du conte, dans une histoire qui n’appartient qu’à lui et qu’il nous fait découvrir de salle en salle. Finalement, ce n’est pas lui Dante, il est Virgile qui guide.
Si les tableaux de Gérard Garouste sont figuratifs, ils frôlent néanmoins l’abstraction, rendant alors la frontière entre le réel et le rêve poreuse. Là est le talent de Garouste : de nous plonger dans l’univers du conte, dans une histoire qui n’appartient qu’à lui et qu’il nous fait découvrir de salle en salle. Finalement, ce n’est pas lui Dante, il est Virgile qui guide.
Nous avons été saisi par la Sainte-Thérèse d’Avila qui convoque toute l’iconographie occidentale religieuse dans un style très baroque. Sainte-Thérèse semble vaciller, comme touchée par la Grâce. Enveloppé dans un habit rouge sang et blanc, l’on eut l’impression de voir le Greco à quelque égards.
Dans l’exposition, nous lisons tout autant la Bible que La Divine comédie, la course romanesque de Don Quichotte ou le bas-corporel de Rabelais, les références judaïques ou sanskrites. Tout cela se mêle et Gérard Garouste redéfinit les mythes et le les légendes, brouillant ainsi les pistes et bousculant nos certitudes et notre vision. C’est tout un univers que le visiteur découvre. L’exposition, à ce titre, est une immersion totale dans l’esprit du peintre.
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La rétrospective est monumentale, à l’image de l’œuvre du peintre qui s’inscrit comme des un grands artistes français contemporains. Chaque salle est un univers dans lequel on pénètre religieusement, saisi par la taille des tableaux mais aussi par la vivacité des couleurs et des sujets représentés. Entre folie et clairvoyance, Gérard Garouste nous propose un monde pour ne pas dire une cosmogonie personnelle qui ravit les sens.
Centre Pompidou – Gérard Garouste jusqu’au 2 janvier 2023.