Marsiho, d’André Suarès, nous révèle qu’un monde subsiste derrière les mots. Que du rêve à la réalité, des tourments intérieurs aux causes sociales, de l’individu au collectif, tout ce qui s’affiche autour de nous et en nous, par la littérature, peut inonder l’espace et remplacer les terrains vagues de l’existence. Suarès possède cette faculté éblouissante de déployer son regard ou l’étendue des nôtres. Il intercède dans notre chemin et le rend instantanément plus grand, plus haut, plus vrai. Sa puissance nous contamine et par la suite, car, comme une évidence, la littérature s’est manifestée, plus rien ne sera jamais comme avant.

Là-bas sont les flots, les arts et les vents. Là-bas, ou ici-bas où pour l’auteur Marseille règne par son décor, son motif et son histoire, comme un mirage. Lorsque j’ai découvert André Suarès, à l’aube de mon errance littéraire, ce fut par Marsiho, un petit bouquin fait de courtes parties comme des morcellements de la ville et de son atmosphère. C’est par lui que j’ai compris ce que les autres appelaient un style en littérature. Par lui que j’ai rencontré un auteur qui m’accompagna jusqu’à ces derniers jours, et m’accompagnera pour le restant des miens. Et par lui encore, aussi, que j’ai mis l’œil sur Honoré Daumier, ce peintre et caricaturiste que, sans honte, je pourrais aisément réduire au qualificatif synthétique (mais par mes considérations exigeantes : rarement obtenu) d’artiste.

« On peut dire du snob qu’il est le contraire de Daumier. La moquerie de Daumier tonne. Il sera le fouet des prolétaires, à l’occasion, comme il est le fléau des bourgeois. Cependant, sa compassion de la misère humaine fait toujours pencher la balance du côté où la douleur, les victimes de l’abus et de l’injustice accumulent leurs poids écrasants et leurs charges méconnues. »

Dans la troisième phrase de cet extrait, l’artiste (André Suarès), confond les objets et permute les rôles. Le fouet étant communément l’objet des bourgeois (qui de surcroît s’abat sur les plus faibles) et le fléau étant (au-delà même de son double sens) cet instrument servant à battre les céréales que les agriculteurs utilisent, Suarès, en une phrase, forme le plus haut point métaphorique de la lutte des classes. Il décrit Daumier comme il décrierait l’obligatoire rôle de l’artiste. Il intervertie les réalités pour mieux les montrer, les dévoiler.

Après le peintre, le poète

Car, chez Suarès comme dans la vie, les humains ne sont que de passage

C’est donc comme ça, par cette phrase qui pourtant, dans son contexte, pass...