Avec Girlfriend on Mars paru en France cette rentrée, Deborah Willis signe un surprenant roman qui porte un regard aussi acide que inquiet sur le futur de notre monde dominé par des multimilliardaires fous dangereux et en proie à une crise écologique majeure. De passage à Paris à l’occasion du festival America, l’écrivaine canadienne originaire de Calgary, mais parfaitement francophone, a accordé une interviewà notre contributeur Mathieu Champalaune.
Amber et Kevin vivent ensemble sans grand projet dans un appartement de Vancouver dans lequel ils font pousser du cannabis. Mais un jour, Amber annonce à Kevin qu’elle va participer à MarsNow, une émission de téléréalité censée désigner deux personnes pour partir vivre sur Mars et organisée par un multimilliardaire fou, sorte de double d’Elon Musk. Girlfriend on Mars suit alors le parcours d’Amber dans son rêve de partir sur Mars, au grand désespoir de Kevin dont le monde semble progressivement s’écrouler. En maniant tour à tour humour satirique et gravité face à la situation de notre monde, ce premier roman parvient à saisir toutes les angoisses de notre époque, sur lesquelles nous avons interrogé son autrice.
Vous avez d’abord publié des nouvelles, qui ont été rassemblées au Canada dans deux recueils, avant d’écrire ce premier roman Girlfriend on Mars. À quel moment avez-vous pensé que vous teniez avec cette histoire de fille qui veut aller sur Mars le sujet d’un roman et non juste une nouvelle ?
Lorsque j’écrivais des nouvelles, je ne me sentais pas vraiment capable de me lancer dans la rédaction d’un roman, d’autant que la forme de la nouvelle correspondait davantage à ce que je lisais alors. Après la publication de mes recueils de nouvelles, j’ai toutefois signé un contrat pour un roman. J’avais d’abord écrit un texte sur lequel j’ai passé quatre ans, mais lorsque je l’ai repris dans le but de l’achever, au cours d’une résidence d’écriture en Lettonie, je l’ai trouvé affreux, je n’avais pas envie de retravailler dessus. Sauf que j’avais déjà deux ans de retard sur mon contrat pour livrer un manuscrit et il fallait donc que je me lance dans l’élaboration d’un nouveau roman en seulement trois semaines. Je me suis alors souvenue d’une nouvelle que j’avais écrite en 2013 et qui était restée dans un tiroir. On était en 2019 et il me semblait que c’était peut-être le moment pour Mars ! Le monde avait beaucoup changé entretemps, j’ai moi-même pu connaître au Canada de nombreuses catastrophes climatiques, des feux de forêt, des inondations, cette histoire a pris alors un aspect plus politique. C’était finalement une bonne chose d’avoir attendu.
On ressent ce sentiment d’urgence à travers une écriture spontanée, directe.
J’ai trouvé le travail de l’écriture d’un roman très difficile. En trois semaines, j’ai seulement écrit une trame, un brouillon plus court, mais j’étais saisie par la peur de ne jamais parvenir à écrire un roman. Cette urgence tient aussi de la volonté de réussir à traduire tous les thèmes qui me passionnaient et que j’avais envie de partager.
Le roman fait alterner deux narrations : la première dans laquelle Kevin raconte à la première personne son point de vue sur cette histoire, la seconde, à la troisième personne, se focalise sur l’histoire d’Amber. Cette façon de fonctionner était-elle une manière d’aborder autrement l’écriture d’un roman ?
Je voulais une écriture similaire à celle de la télévision, avec un montage rapide, et je trouvais amusant d’appliquer ces techniques pour construire un roman. La nouvelle originelle était uniquement écrite du point de vue de Kevin, c’était donc facile de retrouver sa voix pour la développer – même si ce n’est pas le personnage le plus actif ! Amber était plus difficile à écrire, cela me paraissait donc plus naturel de prendre de la distance avec la troisième personne pour se rapprocher d’elle progressivement.
Puisque Amber participe à une émission de téléréalité, cette narration correspond aussi au point de vue objectif à l’œuvre dans ce type de programme où l’on observe les personnes sans vraiment pouvoir accéder à leur intériorité.
Dans la première version, c’était Kevin qui racontait toute l’histoire. Peut-être reste-t-il de cette idée le fait qu’il regarde Amber dans l’émission de téléréalité tout en essayant d’entrer dans son intériorité.
En évoquant le projet d’envoyer des personnes sur Mars, vous avez recours à un thème qui pouvait paraître il y a encore quelques années comme de la science-fiction, mais qui semble aujourd’hui plus plausible, notamment avec les projets d’Elon Musk. Est-ce justement ce décalage qui vous a donné envie de reprendre cette histoire ?
Cela me plaisait d’aller vers la science-fiction, mais je voulais aussi en faire une satire. Mon roman n’a d’ailleurs pas vraiment plu aux lecteurs de science-fiction car il...