Obsessions, monomanies, vies empêchées, être pris au piège d’eux-mêmes, ou incapables de faire partie intégrante du monde… Ces très brèves nouvelles de l’Italienne Goliarda Sapienza (1924-1996) plongent le lecteur dans de multiples destins, presque tous exclusivement féminins, et révèlent, sur le ton de la confidence, des personnages hantés, habités par quelque chose de difficile à nommer. Peut-être simplement, l’angoisse d’être?
Une femme s’enracine dans sa propre maison et ne parvient plus s’en extraire. Une autre s’inquiète à l’idée d’être vue en train de pleurer. Une femme vieillie en une année perd brusquement ses dents. Un homme tue sa femme sans savoir pourquoi. Une comédienne se transforme en statue. Une femme terrifiée depuis toujours par les hommes finit par en tuer un. Une autre, effrayée à l’idée d’être trouvée par la mort pendant son sommeil, préfère se jeter de son balcon.
Ces courtes nouvelles –parfois à peine plus qu’un paragraphe– évoquent un ensemble de parcours singuliers, liés entre eux par l’inquiétante étrangeté qui en émane, ainsi que par les accents de fantastiques que l’on y trouve. Allégories imagées ? Métaphores de la condition de l’être–au-monde ? Ou bien, récits fantasmagoriques qu’il ne faut pas chercher à expliquer ? Quoi qu’il en soit, cette première incursion de Goliarda Sapienza dans la prose, alors âgée d’une vingtaine d’années, dresse une multitude de portraits de personnages pris au piège d’eux-mêmes, malades de l’être, peinant à cheminer sereinement.
Toujours sur le ton de la confidence, comme un secret livré au lecteur par les différents personnages, Sapienza reste cependant attachée à une certaine distance, nécessaire à l’élaboration de ces destins déroutants. Sans jamais entrer dans les détails, nous fournissant peu d’éléments de contextualisation (lieu, époque, âge des personnages, liens entre eux), l’écrivaine brosse le portrait glaçant de ces êtres comme mutilés, meurtris par le monde ou par eux-mêmes. Cette mise à distance du réel se fait l’écho d’une expérience douloureuse du dedans, de l’intériorité des personnages, et de même cette distance nait une confusion entre le rêve, le délire, et le concret, le réel.
« J’ai désiré la mort de Maria. Je l’ai désirée ou je l’ai rêvée ? Peut-être l’ai-je rêvée. »
Reflets autobiographiques
On décèle à travers ces nouvelles, un certain nombre d’éléments plus proprement autobiographiques, comme si Goliarda Sapienza avait, consciemment ou non, dissimulé un peu d’elle-même en chacun de ces personnages. La récurrence des grandes fratries (rappelons que Sapienza faisait partie d’une famille de onze enfants), le rapport complexe aux parents, l’omniprésence du motif du suicide, la question de l’émancipation relative ou ambigüe de la fe...