A l’occasion de la parution du film Nosferatu réalisé par Robert Eggers, Zone Critique revient sur l’évolution récente du vampire, cette figure attirante et dangereuse qui imprègne l’imaginaire de la pop culture. Le vampire est-il toujours cette figure transgressive et érotisée que l’on retrouve dans l’esthétique néogothique des années 60 ? Que disent les relectures contemporaines de ce mythe de l’évolution de nos sociétés ?

Zone Critique revient dans cet article sur la mythique série Buffy contre les vampires, qui a imprégné l’imaginaire de toute une génération d’adolescents. Cette série mérite-t-elle encore aujourd’hui d’être regardée ?

Avant de découvrir Buffy contre les vampires, j’en avais à peu près cette image-là : une blonde californienne dotée de superpouvoirs, dégommant des vampires en carton-pâte, tout en bataillant avec une vie sentimentale alambiquée. Cette description s’est révélée exacte en tous points, bien qu’un peu rapide. Les situations étaient effectivement souvent tirées par les cheveux, les effets spéciaux avaient mal vieilli, les dialogues étaient inégaux. Et pourtant, passé les errements de la première saison, la série s’est révélée bien plus riche et complexe qu’un spectateur distrait ou empreint de préjugé ne pourrait le soupçonner.

En s’inscrivant délibérément dans la tradition des comics, du film d’horreur (transformé néanmoins par la prise de pouvoir de la jolie blonde pourchassée par le monstre, comme le souhaitait le créateur Joss Whedon) et de la comédie dramatique pour adolescent, la série a réussi, sans jamais renier ses origines, à devenir un phénomène de société mais aussi une œuvre d’art forte et originale, populaire à la manière des grands feuilletons du XIXe siècle.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si depuis plus de quinze ans des chercheurs de domaines très variés (philosophes, sociologues, linguistes, critiques littéraires…) en ont fait un objet d’étude de prédilection, donnant ainsi naissance aux Buffy studies. Aucune autre série n’a à ce jour donné lieu à une telle fièvre analytique. Et si Buffy se démarque autant, c’est d’abord par sa manière de traiter l’adolescence, période de transition et d’angoisse.

Les premières saisons : vivre son adolescence, découvrir la complexité du monde

Les premières saisons reposent sur un postulat simple mais efficace : le lycée est un enfer. Les monstres combattus, qu’il s’agisse de vampires, de loups-garous ou d’insectes géants, ne sont que l’incarnation littérale du mal-être adolescent – en d’autres termes l’art de la métaphore poussé à l’extrême. L’étudiante que personne ne remarque devient vraiment invisible, la mère étouffante s’approprie le corps de sa fille pour lui voler sa jeunesse et les tyrans du lycée sont possédés par des hyènes.

Buffy se voit contrainte par la force des choses de renoncer à sa vision binaire du monde et de se construire un système de valeur singulier.

Buffy est une superhéroïne dès le premier épisode, en raison des pouvoirs qui lui ont été confiés, pouvoirs qu’elle ne comprend pas, qui l’inquiètent et dont elle ne veut pas – métaphore frappante de la puberté. Mais elle apprend – dans la douleur – à devenir une héroïne à part entière, capable de prendre et d’assumer ses décisions. Confrontée quotidiennement aux grandes questions existentielles – qu’est-ce que la mort, le bien, le mal, l’amour, la trahison, le pardon ? – il lui faut accepter de ne pas savoir ou de se tromper, tout en sachant que ses erreurs peuvent avoir des conséquences catastrophiques. Elle doit ainsi agir rapidement et du mieux qu’elle peut, quitte à trancher dans le vif.

La série raconte aussi la prise de conscience douloureuse du fait que les adultes sont imparfaits, souvent impuissants, parfois malveillants. Les vampires privés de leur âme symbolisent le refus de grandir, d’intégrer le sens moral, de prendre leurs responsabilités. Ils sont animés par un pur désir de satisfaction immédiate, restant ainsi des « ça » privés de surmoi. Ils ne vieillissent pas, ni ne gagnent en maturité, restant ainsi bloqués dans l’adolescence. Et Buffy, pour grandir, doit détruire encore et encore cette tentation de se réfugier à jamais dans l’égoïsme de l’enfance. À de multiples reprises, elle se retrouve aussi à lutter contre des figures traditionnelles d’autorité appartenant en fait aux forces du mal (comme ses enseignants ou le maire de la ville). L’impuissance ou la malignité de ceux qui sont censés la protéger et la réconforter lui apprend qu’elle ne peut, en fin de compte, compter que sur ses propres ressources, son bon sens et son courage, message émancipateur s’il en est.

Buffy apprend aussi le pardon, le compromis et la nuance, notamment en rencontrant des personnages ambigus, à mi-chemin entre le bien et le mal, comme Anya, le démon vengeur privé de ses pouvoirs, et Spike, le vampire rendu impuissant par une puce implantée dans son cerveau. Sans cesse confrontée à d’épineux dilemmes moraux, elle se voit contrainte par la force des choses de renoncer à sa vision enfantine et binaire du monde et de se construire un système de valeur singulier.

Les vampires privés de leur âme symbolisent le refus de grandir, d’intégrer le sens moral, de prendre leurs responsabilités.

L’entrée dans l’âge adulte : violence, trahison et rédemption

Si la série ne renonce jamais à sa dimension comique, les trois dernières saisons ont dans l’ensemble un ton plus noir, plus adulte à mesure que les situations se font plus explicites. L’adolescence s’achève brutalement dans la saison 5 alors que Buffy devient symboliquement mère en recevant une petite sœur, Dawn, qu’elle devra protéger. Dans l’épisode final de la saison, elle réalise son destin d’héroïne en se sacrifiant pour sauver le monde – et sa sœur. La mort devient l’ultime don de l’héroïne, qui rejoint ici les grands mythes tragiques. « Je suis là pour vous dire non, et pour mourir » dit Antigone à Créon dans la pièce éponyme d’Anouilh.

Bien sûr, dans le Buffyverse, rien, pas même la mort, n’est insurmontable et Buffy revient à la vie. Mais une fois de plus, le spectateur et les codes du genre sont pris à rebours. Loin de se réjouir de sa résurrection, Buffy, qui avait trouvé la paix dans le sommeil de la mort, souffre d’être revenue à la vie et à sa violence. On peut aussi noter une dimension chrétienne assez marquée ici, Buffy suivant un parcours christique (sacrifice/résurrection), subvertie par l’absence de joie qu’implique son retour.

La saison 6 explore alors les thèmes très adultes de la dépression, du masochisme et de la violence sexuelle, mais aussi de l’addiction et de l’aliénation à travers le personnage de Willow – qui devient une incarnation moderne de l’hybris grecque. Les amants et les amis se déchirent et s’affrontent, les jeunes adultes découvrent la difficulté d’être livrés à eux-mêmes. Plus de grands méchants, le danger vient désormais de l’intérieur du groupe. Bien que la série soit toujours très polarisée d’un point de vue moral, reposant sur un affrontement du « bien » et du « mal », sa grande force est de ne jamais devenir moralisatrice, en punissant ou déshumanisant les personnages ayant fauté. Au contraire, elle les dépeint comme trop humains, ne recherchant, au fond, que l’acceptation, et un amour inconditionnel susceptible de les sauver de leur solitude.

Bien que la série soit toujours très polarisée d’un point de vue moral, sa grande force est de ne jamais devenir moralisatrice

La saison 7, également, repose très fortement sur cette idée de pardon et de reconstruction, les personnages cherchant à retrouver leur équilibre, confrontés à un pouvoir qui les dépasse et qu’ils ne comprennent pas – le leur. L’ennemi principal de cette saison finale est immatériel, son pouvoir de nuisance ne s’exprimant qu’à travers sa force de persuasion. Il renvoie donc une fois de plus les protagonistes à leur propre faiblesse. La plupart des alliés de Buffy, à l’exception notable de Xander et de sa petite sœur Dawn, se sont  tous, à un moment o...