Dans La Stratégie de la Sardine, un récit émouvant et sincère, Olivier Liron pose la douloureuse question de l’acceptation de soi et de l’intégration malgré la différence : au cours de sa vie, Olivier sera, en effet, diagnostiqué HPI et Asperger. Certes, le monde est aujourd’hui plus enclin au diagnostic des personnalités neuroatypiques, mais il demeure régi par des normes sociales difficiles à faire vaciller. 

Dès son plus jeune âge, Olivier fait preuve d’une intelligence qui dépasse l’entendement. Enfant, il emmagasine une foule d’informations sans difficulté, sait lire et compter avant les autres, poussé par une curiosité sans bornes. Si cette acuité extrême est d’abord perçue comme un atout, le ciel s’assombrit à l’adolescence, période charnière qu’Olivier retrace sans fard. C’est là qu’une curieuse impression émerge : celle d’être en marge. 

Les premières difficultés

Très tôt, les obstacles se dressent sur le chemin d’Olivier sous la forme de colères subites. Des colères semblables à un volcan qui entre en éruption sans crier gare, dès lors que la victoire ne semble pas à portée de main. Parce qu’Olivier est un enfant joueur, il veut gagner et il est prêt à tout, y compris à écœurer ses adversaires, agacés par tant de compétitivité. D’abord cantonnée aux jeux d’enfants, cette rage de vaincre va pousser Olivier à mener une expérience pour le moins insolite à l’âge adulte : participer (et même gagner) à Questions pour un champion plusieurs fois (c’est d’ailleurs précisément ce passage de sa vie que l’auteur raconte dans Einstein, le sexe et moi, qui lui a valu le prix des blogueurs littéraires). 

Cette force de vivre contraste avec la timidité maladive dont Olivier fait preuve au collège. Et si le récit d’Olivier m’a beaucoup touchée, c’est probablement parce que j’ai moi-même été brimée par mes camarades de classe deux ans durant. Olivier décrit avec précision cette première blessure de la vie qui constitue une confrontation au réel… Ce qui frappe, c’est l’absence de raison pour expliquer ces persécutions : peut-être est-ce dû à une démarche hésitante ou à des omoplates voûtées, signe d’une vulnérabilité qui laisse transparaître aux yeux des autres une posture victimaire. C’est la brèche dans laquelle les êtres les plus malveillants s’engouffreront, jour après jour. 

C’est certainement le moment où la différence, autrefois valorisée dans le cocon familial, devient un fardeau qu’on essaie de dissimuler. Olivier, qui vit dans sa tête et dans ses pensées, essaie de s’intégrer malgré sa singularité.

« Je me souviens de ces remarques sur mes regards fuyants, ma timidité maladive. » Dans le chapitre sobrement intitulé « Le harcèlement », Olivier décrit des sévices insoutenables. Les toilettes de l’établissement deviennent alors son unique refuge puisque se cloîtrer est la solution qui lui permet d’échapper à ses tortionnaires. 

C’est certainement le moment où la différence, autrefois valorisée dans le cocon familial, devient un fardeau qu’on essaie de dissimuler. Olivier, qui vit dans sa tête et dans ses pensées, essaie de s’intégrer malgré sa singularité.

À la suite de son cursus à l’école normale supérieure, Olivier passe de l’autre côté du miroir pour devenir professeur durant quelques semaines. Loin de considérer son expérience avortée comme un échec, il quitte son poste et s’interroge sur lui-même. À l’introspection succède la révélation qu’il n’existe qu’à travers son esprit, encombré par un corps qu’il ne parvient pas à habiter pleinement. La danse contemporaine japonaise devient le rendez-vous hebdomadaire qui lui permet de réinvestir ce corps, de redécouvrir son agilité, de maîtriser ses mouvements à travers des anecdotes hilarantes. 

Cultiver sa différence

Le chapitre « Le bonheur est dans le livre »  parle à tous les amoureux de la littérature. Il s’agit d’une propulsion dans le passé, d’un retour en enfance avec les bandes dessinées Tintin dont Olivier se délecte, ou encore avec la fameuse dame de la bibliothèque à laquelle tous les fidèles de la bibliothèque municipale ont un jour souri, quelques livres coincés sous le bras. 

« Je ne peux pas m’arrêter de lire, je n’y peux rien. (…) Des années plus tard, à l’heure où j’écris ces lignes, je suis encore l’enfant de ces nuits. Le réconfort d’un livre avec… une boisson chaude, un coussin ou un chat posé sur les genoux, il n’y a besoin de rien d’autre pour être parfaitement heureux ! » 

Olivier finira par cesser de vouloir ressembler à ses pairs pour cultiver fièrement sa différence. 

D’élève surdoué à normalien en passant par la case “professeur raté”, Olivier Liron, tel un chat, est parvenu à retomber sur ses pattes. Auteur édité et primé dans ce parcours du combattant qu’est le milieu de l’édition français, il s’en est bien sorti. Certes, il s’est écarté du tapis rouge, prévisible et rassurant, que lui déroulait son intelligence supérieure, mais il se trouve désormais sur le bon chemin, le sien

  • La Stratégie de la Sardine, roman d’Olivier Liron paru chez Robert Laffont, 2023.

Hanna Anthony écrit depuis son plus jeune âge. Hypersensible, elle est passionnée par les relations humaines et les émotions et anime un compte Instagram sur le sujet @relation_textuelle, ainsi qu’une newsletter du même nom sur Kessel Média. Elle a récemment publié un livre en autoédition, à mi-chemin entre récit et développement personnel, intitulé Résilience