Les Grandes Patries étranges de Guillaume Sire nous racontent l’amour fou de Joseph Portedor pour Anima. Le décor de cet amour est le XXᵉ siècle aux idéologies douteuses et aux guerres fratricides. Nous nous y abîmons avec Joseph Portedor et son obsession : suivre et maintenir le fin fil qui relie les êtres et transcende le chaos d’une époque.
Toulouse, la guerre d’Espagne, la Seconde Guerre mondiale, la résistance, la libération… Tout ça n’est rien qu’un décor, des matériaux à l’usage de qui veut devenir un héros, le chevalier à la rose capable de dire encore et toujours : « Je t’aime. Je t’ai toujours aimée. Tu ne mourras pas. Je te protègerai. » Comme si l’amour pouvait protéger de la mort… Seulement deux choses peuvent faire de nous des héros : la guerre ou l’amour. Joseph Portedor, le héros des grandes patries étranges de Guillaume Sire a connu les deux. La guerre est transcendée par l’amour. C’est Anima, la petite voisine juive qui fera de Joseph Portedor un héros. « Tu m’aimeras et je te ferai souffrir. », lance la petite fille méchante à Joseph pour l’adouber chevalier. Avec ses grandes patries étranges, Guillaume Sire nous fait renouer avec l’amour courtois sur fond d’une chronique du XXᵉ siècle et de ses barbaries idéologiques.
Guillaume Sire nous fait renouer avec l’amour courtois sur fond d’une chronique du XXᵉ siècle et de ses barbaries idéologiques.
Le verbe à démêler
Joseph Portedor est d’abord un petit garçon extra sensible, qui devine les maladies, perçoit ce qui compose toute matière, lit l’histoire des êtres, des objets. Il a une connaissance organique de toute chose, ce qui lui donne comme un pouvoir divinatoire. Une maladie qui dit la vérité est un don, mais un don qui empêche de dormir est une maladie… Rien d’autre qu’une croix à porter pour le jeune homme orphelin de père à cause de la Grande Guerre.
Une première question se pose : sont-ce les mots qui engendrent la réalité ? Face à la lettre annonçant la nouvelle de la mort de son père, Joseph est perplexe et mélange les causalités. « Si sa mère ne lui avait pas appris à lire, son père ne serait pas mort. » C’est dire si dès le début, il croit à la performance du verbe. Ce sont toujours les mots qui sont premiers chez Guillaume Sire. C’est une obsession, on ne peut s’en libérer qu’en les apprivoisant. Aussitôt Joseph se drape de son premier slogan personnel : je te vengerai. Il y en aura d’autres. Le deuxième est donné au nom d’Anima, pour se tracer un destin. « Il l’aimera toujours… C’est écrit dans le ciel, le jour de sa naissance… » Il est donc prédestiné. Il rabâche les phrases comme autant de mantras, pour répondre à l’oracle de sa pythie de jeunesse. Elles sont répétées pour amplifier le mystère.
Pour toi qui suis-je ?
L’amour est venu en musique. C’est que les phrases d’Anima sont roses, lilas, violettes, parme, indigo… Elle joue Schuman au-dessus de sa tête sous la dictée du père virtuose empêché d’exercer par l’antisémitisme de troupeau des français d’entre deux guerres. « Anima petite sorcière du bout du couloir, le vent d’autan, Schumann. » Voici l’esprit qui souffle au-dessus de Joseph. Anima sera celle qui animera son corps, comme une âm...