Un film sans histoire ou plutôt, un film aux mille histoires… Jimmy P., Psychothérapie d’un Indien des Plaines d’Arnaud Desplechin et avec Mathieu Amalric et Benicio Del Toro, est un film déstabilisant.
Alliant subtilement la Grande histoire à la petite histoire, Arnaud Desplechin nous plonge au cœur de la relation entre un indien malade, Jimmy Picard, et un psychiatre anthropologue, Georges Devereux. Si le titre du film et les premières scènes mettent en lumière le personnage de Jimmy, la narration nous écarte peu à peu de l’Indien pour s’intéresser à la relation qu’il entretient avec son psychiatre devenu ami, Devereux.
Avec audace, nous pourrions même affirmer que le scénario finit par se concentrer et nous plonger au cœur du personnage mystérieux et troublé qu’est Georges Devereux. D’ailleurs, est-ce un hasard si dans sa dernière scène, Georges apparaît allongé sur le fauteuil de son psychiatre ?!
Mais commençons par le commencement. Jimmy P., vétéran nord-amérindien, est un indien Blackfoot qui souffre de maux de tête, de cécité ponctuelle, de malaises et de crises d’angoisse depuis son retour de guerre. Sa sœur, Gayle, chez qui il vit, décide de l’emmener à Topeka, au Winter Veteran Hospital spécialisé dans les maladies du cerveau, afin que les médecins l’aident à déceler la maladie qui expliquerait tous ces maux.
Mais les examens sont sans appel : Jimmy ne souffre d’aucune maladie et l’ensemble de ses symptômes pourraient s’expliquer par une schizophrénie. Pour en être sûrs, l’équipe médicale décide d’appeler le très marginalisé George Devereux, un psychiatre anthropologue français spécialiste des cultures amérindiennes.
Petite et grande histoire
Tout au long du film, Georges tente de dénouer l’esprit tortueux et torturé de Jimmy en décryptant chacun de ses rêves. Si l’on apprend effectivement à connaître Jimmy, son histoire et la cause de ses troubles à travers ses séances avec Georges, le film retranscrit en réalité plusieurs niveaux d’histoire. La Grande histoire, à travers l’évocation d’un double génocide : celui des Amérindiens et celui des Juifs.
Cette Grande histoire est alors mise en lumière par la posture inattendue des personnages ; d’un Georges Devereux qui rejette le Győrgy Dobó qu’il est originellement à un Jimmy P. qui ignore la plupart des traditions ancestrales de sa tribu. Même s’ils se définissent – ne serait-ce que par contradiction – à travers leurs origines, ces deux hommes se concentrent avant tout sur ce qu’ils sont, en dehors de toute société, et sur ce qu’ils vivent et ressentent en tant qu’individus.
Psychanalyse et anthropologie
En ce sens, Arnaud Desplechin nous offre également une allégorie de la théorie scientifique de Devereux : la psychanalyse doit se nourrir de l’anthropologie pour parvenir à dresser un portrait exact de l’interlocuteur. Devereux est en effet considéré comme le père de l’ethnopsychanalyse et a été l’un des premiers à prôner l’universalité du complexe d’Œdipe et en un sens, à développer une approche transculturelle.
C’est ainsi que Devereux établit une relation avant tout égalitaire et humaine avec Jimmy P. et que leur histoire s’illuminent indéniablement. A travers Jimmy P. son histoire et ses « complexes », c’est un George Devereux passionné mais tout aussi complexé que l’on découvre.
A la superposition des histoires convient la simplicité et l’authenticité des décors
Arnaud Desplechin signe donc là un film ambitieux. A la superposition des histoires convient la simplicité et l’authenticité des décors. Seule l’illustration des rêves apporte une esthétique fictionnelle à ce cadre épuré mais percutant. Desplechin donne ainsi toute son importance à ses personnages et à leur relation en plaçant leurs échanges dans des lieux toujours différents.
Plus encore, cette œuvre trouve un écho important dans l’ambiance musicale qui, tantôt lourde tantôt joyeuse, accompagne le malaise profond de Jimmy et l’excentrique légèreté de Georges. Mais là encore, lors des dialogues, la musique laisse place au silence ou plutôt aux mots.
Un film qui ne raconte rien
Cette œuvre est donc une œuvre complexe tant elle laisse à la fois indifférent mais tout aussi pensif. A la fin du film, la première pensée qui nous vient est indubitablement que ce film ne raconte rien. Ni commencement, ni fin. La guérison de Jimmy ne parvient pas à s’ériger en histoire, en fiction, car elle se détache du rythme habituel : incipit, nœud, péripéties, dénouement. En ce sens, le premier sentiment pourrait être celui de la déception face à ce film qui offre pourtant un nombre incalculable de pistes à explorer parmi lesquelles la dette des américains envers les Indiens ou encore le retournement de situation entre le psychanalyste et le psychanalysé…
On pourrait alors reprocher à Desplechin de ne pas avoir su choisir entre le récit de la thérapie de Jimmy P., celui de la relation qui naît entre Jimmy et Georges mais également, celui d’un personnage qui semble l’avoir fasciné, Georges Devereux. C’est certainement ce qui explique l’ambiguïté du titre : il identifie un homme, un personnage, Jimmy P., mais il continue en mettant en avant le terme de « psychothérapie » pour totalement désincarner ce même Jimmy P. « Jimmy P., Psychothérapie d’un Indien des Plaines ».
C’est certainement ce qui explique aussi que le film se referme sur un Devereux en pleine séance de thérapie. Arnaud Desplechin l’avoue lui-même, le livre à partir duquel ce film a été écrit (Psychanalyse d’un Indien des Plaines de Georges Devereux) le passionne depuis toujours, mais sa passion s’ancre-t-elle dans l’histoire qu’il raconte, dans la relation qu’il dépeint ou dans l’image qu’il dessine en creux de son auteur ?
Ce film n’offre donc pas d’histoire et c’est pourquoi il est difficile à raconter ; il offre une relation et plus encore des personnages hautement interprétés et incarnés par Benicio del Toro et Mathieu Amalric. Leurs seules prestations valent le détour. Benicio del Toro époustouflant de simplicité s’oppose à un Amalric haut en couleurs, incarnant avec brio un personnage insaisissable à la fois passionné, brillant et torturé. Et, ces caractères mystérieux, profonds et si opposés trouvent écho à travers le physique antagoniste de ces acteurs.
En d’autres termes, Jimmy P. est à l’image des relations humaines : la première approche est parfois bien difficile mais à bien y réfléchir, la conclusion ne se tire pas si facilement.