Le banquet de plafond est le nouveau livre de Jules Vipaldo, auteur et personnage papillon, évadé notoire et natatoire du ghetto poétique, et nageant depuis à contre-courant du ghota germanopralin ; et ce, bien qu’il ne soit jamais à court de pralines ni de formules ! En voilà d’ailleurs une (« Un projet de livre est un projet de vivre » !) plus sérieuse que d’habitude ; et l’on peut se demander, assez légitimement ma foi : « Mais quel apiculteur l’a mouché ? Que lui est-il passé par le texte / la tête, cette fois ? » (Christelle Mercier, co-éditrice avec Guillaume Basquin au sein des éditions Tinbad).
En personnage / auteur égaré dans ce monde/ci-si (si !) mal garé (traduire : très fonctionnel et normatif) Jules Vipaldo :
« cale
en épi, en créneau, en marche arrière
une autodérision et des tours de volants braqués
dans le lieu d’une réalité à décaler. » (MCDem.)
Ici l’araignée des plinthes rejoint celle au plafond pour céder sa métamorphose
au rongeur-rat domestique qui ronge les combles du cerveau & du coeur,
trottine au-dessus de la tête de l’auteur et grignote son plafond. L’empêchant de
tourner normalement et de s’ensevelir dans la toile du sommeil, la bestiole
le tient en éveil insomnieux par les bruits d’un monde incongru qui tourne
sa ronde et tisse sa toile dans l’absurde.
Jules glisse, se dérobe, se la coule brusque / douce dans la bonde du vide pour mieux ressortir tête haute
du vertige où, à la dernière seconde avant de se broyer -atterré- il remonte la pente
et se tient -convive rescapé- à la table nue du banquet de plafond.
Un livre-banquet
Ce nouveau livre de Jules Vipaldo, « évadé notoire et natatoire du ghetto poétique » (Christelle Mercier) a-t-il un rapport quelconque avec Le Banquet de Platon ? Un livre-banquet qui se donnerait pour pages festives de parler de l’amour, par la voix d’un être égaré « péroreur à ses heures » ou « discoureur (de jupons ? ) » ? Il est vrai que l’auteur a la parole tournoyante et la répartie facile, ce qui le rapprocherait peut-être d’un certain Socrate si habile dans ses discours et verve/trame démonstrative. Mais encore ?
Ce nouveau livre de Jules Vipaldo, « évadé notoire et natatoire du ghetto poétique » (Christelle Mercier) a-t-il un rapport quelconque avec Le Banquet de Platon ?
Les tracas commencent parfois par un simple infime déraillement dans l’ordre irrationnel du cours des choses, qu’il suffit d’amortir avec assez de philosophie facétieuse un poil adéquate, pour apprendre à savoir réceptionner les pétages de clous et tours foireux de vis qui, déjoués, culbuteront/achèveront l’anomalie. Briser le courant depuis le jet-sky auto-inoculé en pleine tête pour franchir chef-plus-que-haut le monde bancal et ses petites calomnies. Mais un Humpty ou l’homo miserabilis androgyne aristophanesque à la témérité promothéenne, avant sa scission dans le cœur atomique/alchimique par le méchant Zeus, – feraient aussi bien l’affaire et la parade – alors ?
« Quel apiculteur l’a mouché ? », ce papiphage-papivore-butineur-papillon, « que lui est-il passé par le texte / la tête, cette fois ? » — Une invasion de souris (« souriquois » ? cf. la citation autographe en exergue), ces sales bêtes qui rongent les parois de sa demeure et qui, de comble en plinthe, l’inciteraient à perdre l’œil qui lui reste au plafond (l’autre braqué sur les rongeurs envahisseurs) ? Quels couacs ! incongrus et intempestifs vont échapper à l’envie de taquiner sa sérénité en lui injectant sous l’épiderme tant d’épique dans la farce de l’épopée tranquille de sa vie ordinaire ?
Rien n’est plus attrayant que l’intrusion de l’irrationnel dans le cours banal des choses. Nous avions cela chez Lewis Carroll, nous avions cela chez James Joyce ; chez les personnages de Plume de Michaux ; de Monsieur Teste de Paul Valéry (« Un projet de livre est un projet de vivre »)… un rien de décalé qui intercale le narrateur entre le sens et le non-sens, cordiste sur l’ascension scripturale comme à pic sur la paroi du texte, pile là où le lecteur fantasme de se retrouver accroché.
Rien n’est plus attrayant que l’intrusion de l’irrationnel dans le cours banal des choses
« Nous voulons être tout ouïe et tout ventre pour déguster vos récits sensuels, vos recettes nouvelles ! Faites-nous saliver, mon salaud ! Mettez nous, je vous en prie, la joie en tête et le mot à la bouche ! »
… sans jamais rien révéler des secrets cuisants et/ou ténébreux de la recette. Dali déclarait avoir rêvé dès la petite enfance de devenir « cuisinière ». Une affaire de cuisine, l’art l’est assurément, occupé à faire chauffer, flamber, laisser mijoter, déguster, savourer…
« Les choses s’énonceraient sui generis, s’ e/ancreraient d’elles-mêmes (vachement bien et rondement), sans génie ni génisse, totalement auto-suggérées, par l’entropie, l’effet toupie du sujet ; sa sudation expresse d’agrume pressé de juter. De se répandre. Et d’engrosser la romance en cours !
L’auteur n’aurait plus qu’à tirer le fil, et la pelote, mot après mot, se déviderait, presque automatiquement, au point de se demander : « Y a t-il un pilote dans ce texte ? »
Et l’on verrait se dessiner, phrase après phrase, les contours pas encore tout à fait nets de … (« De quoi ? ) quelque chose… (Mais quoi?) disons, d’un motif… celui-là ou un autre, peu importe !… (…) »
… la révélation s’arrête sur le bord salivé des lèvres, & l’éditueur connaît le secret des rouages sensationnels/jouissifs de cet érotisme-là, dans l’extrême tension/retenue du plaisir du texte/sexe :
« Encore que, question cuisine, il ne faille se garder de trop en dire, de trop en cuire, et de livrer
ses mystifications / ses secrets de fabrication !
C’est que, in extremis et à bon escient, lui rappela son éditueur : « Vous jugerez donc utile, cher ami, d’omettre ici certains de vos ingrédients (vos pincées de cul, de cumin ou curare). Vous éviterez ainsi d’éventer vos épices (and love?) et vos jeux de piste (and love?). Et surtout, veillez à maintenir notre désir à feu doux ! Nous ne voulons pas apprendre, tout de suite, ce que vous nous mijotez depuis de longs mois ou de (trop) longues acmés / acnés ! »
Rébellion & autodérision sauvent ici l’Espoir de sa mise au rebut. Les combles, rescapées ou sauvegardées, sortiront rénovées du banquet de plafond.
Triomphe le Rire des perdants. Le bout du tunnel s’entraperçoit par la grâce caustique du soufflet de la contradiction où les âmes pures se brûlent mais savent s’ôter par préméditation spontanée, bien qu’in extremis, de l’âtre consensuel. La verve incendiaire d’une pensée comme un brûlot orchestré de points de vue polyphoniques permet de mordre au mieux le réel, impulse le saut dans le vide, et le saut rebondit au dernier moment et assure son revirement dans une chute finale fatale salutaire.
Par la force du soufflet-à-bouche des mots qui nous lancent leur flamme de plein fouet, renversant la table nue d’un banquet pour en assurer la Cène. Le Banquet est consommé, et l’on ne manque ni de faim ni d’action. Notre confort est refait, table rase, et nous ne roulons plus ici sur nous-mêmes par culbutes rassasiées et sauts dans l’habitude ou sur la sphère bien ronde de nos pesanteurs pragmatiques.
Convive non léché mais lêcheur relévé de ce monde à consommer, Jules Vipaldo en chauffant les mandibules pour mieux serrer la mâchoire, fait flèche de tout coup maladroit, fait feu de tout coup à consumer ! Ecrasé par terre comme Humpty Dupty, Jules Vipaldo recolle les morceaux, remet les bouts concassés et cocasses du réel absurde pour nous délivrer, par le non-sens évident / éloquent, de nos dérives et splendeurs innommables, que lui « gentleman-farceur » sait nommer. S’il se casse parfois la figure, lui l’expert en « Bricoles & poèmes en tout genre » a l’art de vivre et l’art du livre qui ne nous casse pas les oreilles mais plutôt nous les embarquent à fleur de lignes profondes sur la crête de vagues qui s’éclatent ou se creusent pour mieux évaluer l’envergure du « banquet de plafond ». L’oreille interne, touchée, frétille et se laisse happer par l’ivresse des profondeurs…
Un peu comme les auteurs publiés via les éditions Tinbad, par l’efficience d’une certaine Quadrature, nous surprennent là où on ne les y attendait
« Il s’est pointé, bien avant l’heure, au rendez-vous pris la veille. Le ciel est bas, l’uniforme de rigueur. L’employé module sa prise de commande d’une voix suave, huilée, très professionnelle. Conseille ceci, déconseille cela, demande un portable qu’il n’a pas.
Rebelle de Cadix, ou disons, de Plaimpied, Jules se targue de n’avoir aucun (coup d’)fil à la patte ! Il n’est pas de ces bataillons d’aliénés qui ont fait de la communication leur religion. Ou encore, il ne souscrit pas à cette religion communicationnelle dont les prosélytes sont partout.
Il refuse d’être lié et aliéné, et en permanence, relié. Antinazi primaire, il bloque sur « Munich », son douloureux écho (à l’intérieur du mot), et sent bien que quelque chose là-dedans, « nique la communication ». En somme, il fait partie de ces gens « qui ne sont jamais là quand on les sonne » ! »…
… un peu comme les auteurs publiés via les éditions Tinbad, par l’efficience d’une certaine Quadrature, nous surprennent là où on ne les y attendait.
Murielle Compère-Demarcy (MCDem.)
- Le Banquet de plafond, Jules Viplado, 2018, éditions Tinbad – Poésie, 137 p., 18 €