Cérémonie d’orage de Julia Armfield, traduit avec maestria par Laetitia Devaux et Laure Jouanneau-Lopez, déploie une véritable toile de maître, tableau de tempête où des personnages infiniment petits sont malgré tout infiniment détaillés, reflétés à l’envi par les eaux tumultueuses.  

Les phrases de Julia Armfield ont quelque chose de liquide, métaphore de la fluidité qui est au cœur de ce livre, fluidité du temps, des genres, des désirs en opposition à la permanence des traumatismes. Cristallines, elles laissent parfois transparaître des émotions rendues plus nettes par l’eau, parfois floutées par les ronds de pluie. Derrière leurs mots se devinent des fonds troubles et des profondeurs insondables. 

Trois sœurs dans la houle ; trois sorcières dans l’orage

Les trois sœurs au centre de Cérémonie d’orage sont à la fois celles qui scrutent la surface et celles qui se noient bien plus bas, retenues dans les abysses par les deuils d’hier, les disparitions inexpliquées, l’immensité inquiétante de la maison, toute de verre et les violences assourdies du père, architecte renommé. Isla, Irene et Agnes apprennent sa mort lorsque s’ouvre le roman, entre malaise et soulagement inavouable.  

« Et de voir à nouveau son père – une silhouette qui se révèle n’être rien derrière la baie vitrée, longue absence réfléchie dans l’obscurité. La vie, comprend-elle, est un effondrement, une succession de souvenirs non pas organisés en séquence, mais mélangés, qui passent et repassent en simultané. Elle est dans la cuisine de son père à vingt-quatre ans, mais aussi à cinq, neuf, onze ans. Elle est là avec ses sœurs, son père est présent et absent à la fois. »

Dressées les unes contre les autres par cette figure tyrannique et perverse, les trois sœurs sont incapables de rester dans une même pièce sans se sauter à la gorge, armées de silences forts à propos, de répliques cinglantes ou de gestes sans équivoque. À l’image des filles du Roi Lear, pièce de William Shakespeare dont Julia Armfield revendique l’influence, elles ne peuvent plus s’ignorer et se déchirent face aux décisions à prendre, à l’héritage qui se révèle, à ce que remue le décès, au tréfond d’elles-mêmes, loin sous la surface. Trois sorcières dans la tempête de Macbeth ou du Roi Lear, silhouettes perdues dans l’immensité argentée des nocturnes de Whistler ou Icare féminines en arrière-plan d’un tableau de Brueghel, les protagonistes imposent chacune leurs voix lesbiennes, uniques et singulières, aucune ne dominant l’autre malgré leurs tentatives. L’autrice décrypte donc la complexité des relations sororales, les jalousies qui taisent leur nom puis éclatent au grand jour, les ressentiments couvés depuis des années, l’affection voilée par tout le reste. 

Les phrases de Julia Armfield ont quelque chose de liquide, métaphore de la fluidité qui est au cœur de ce livre, fluidité du temps, des genres, des désirs en opposition à la permanence des traumatismes.

Le décor dans lequel elle inscrit Isla, Irene et Agnes les enferme et les offre au regard d...