Consacré dans quatre catégories aux César 2019 – Meilleur scénario original, montage, actrice et, surtout, Meilleur film – Jusqu’à la garde nous avait déjà ébloui en 2017, lors de sa première projection publique dans le cadre du Festival des droits humains d’Amnesty International. Sous un angle réaliste et sans pathos, Xavier Legrand aborde dans ce film les violences intrafamiliales. Un thème qui habite sa carrière de jeune réalisateur, depuis le court métrage Avant que de tout perdre, récompensé lui aussi aux César et cité aux Oscars. Acteur de théâtre, il fait son entrée dans la cour des grands avec ce premier long métrage puissant et nécessaire, dont le message imprègne durablement.
Jusqu’à la garde. Un titre aussi incisif que la lame d’un sabre. Ici, il s’agit de l’obligation de se soumettre à l’autorité accordée par la loi à un parent abusif. En 2013, Avant que de tout perdre posait la première pierre de ce qui devait être une trilogie de courts métrages : la fuite, la garde et l’après. Legrand a montré la fuite de la famille, puis a préféré réunir ses deux derniers actes en un long métrage : Jusqu’à la garde. On y suit Miriam (Léa Drucker) et ses enfants, en retenant notre souffle pour savoir s’ils parviendront à échapper à leur tyran, le chef de famille, campé par Denis Ménochet.
Ceux qui connaissent la genèse d’une demi-heure percevront le long métrage à la lumière du passé accablant du père. Les néophytes sont invités, à l’instar de la juge de la scène d’ouverture devant statuer sur le droit de garde, à se positionner face au colosse au regard calme, presque doux. Cette attitude placide brillamment adoptée par Ménochet instaure un climat de tension permanent, qu’on retrouve dans le ton faussement détaché de la mère. Le propos du cinéaste, dénoncer une réalité occultée, devient rapidement évident. Avec la justesse des Dardenne et l’engagement d’un Ken Loach, Legrand entraîne alors le spectateur dans un drame social aux accents de thriller.
Cinéma vérité
Au cours de son travail préparatoire, le réalisateur a assisté à des groupes de paroles d’hommes violents, à une audience au tribunal et est allé au contact des victimes silencieuses. C’est pour leur donner la parole qu’il a écrit ce film et peut-être aussi parce que « le rôle du cinéma est de donner un visage », comme le soulignait Abbas Fahdel, parrain de la 8e édition du festival d’Amnesty International. À l’issue de la projection, des journalistes de Libération étaient conviés à faire part de « l’enquête sur le meurtre de masse des 220 femmes tuées par leur conjoint chaque année et ignorées par la société ». Une réalité glaçante, qui se détache des statistiques grâce à l’identification que permet le cinéma.
Jalonnant les moments d’une fragile banalité, les scènes violentes s’immiscent dans le film comme dans le quotidien de nos personnages. Les séquences dans lesquelles éclate l’expression de la fureur de « L’Autre » (comme l’appellent les enfants) sont magistrales. L’intensité de Jusqu’à la garde tient autant à la direction d’acteurs qu’à la mise en scène. Xavier Legrand a su diriger son jeune acteur, Thomas Gioria, pour qu’il soit le personnage-clé de son œuvre. Il est le seul petit nouveau de la famille car à l’exception de Julien le casting demeure inchangé, jusqu’au producteur Alexandre Gavras, qui faisait d’ailleurs un caméo dans le court métrage.
Portée universelle
Instructif, percutant, émouvant, Jusqu’à la garde ne peut laisser indifférent. Au-delà des violences conjugales, il s’attache aux violences familiales et à la mécanique implacable qui emprisonne les victimes dans l’omertà. Le réalisateur laisse le temps à la toile de se tisser, notamment à travers les seconds rôles, qui étoffent l’arc narratif des protagonistes. À la fois sensible et brutal, ce récit qui se déroule en coulisses de la société prend la forme d’un manifeste universel.
- Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand, avec Léa Drucker, Denis Ménochet, Thomas Gioria et Mathilde Auneveux. Sortie le 7 février 2018.