Katelyn Eichwald (Chicago, 1987) dépeint des situations qui pourraient être issues d’un rêve. En effet, l’artiste américaine semble s’inspirer de l’imaginaire onirique des contes pour enfants : aussi magique qu’inquiétant. Elle débute en Europe avec Castles, exposition personnelle qui aura lieu à la galerie Sultana de Paris et Arles jusqu’au 28 mai.
Le château ou la « venta »
Don Quichotte de la Manche, dans sa première rencontre avec la réalité, transforme une humble hôtellerie (ou « venta ») en château : « […] dès qu’il vit l’hôtellerie, il s’imagina que c’était un château, avec ses quatre tourelles et ses chapiteaux d’argent bruni, auquel ne manquaient ni le pont-levis, ni les fossés, ni aucun des accessoires que de semblables châteaux ont toujours dans les descriptions. »
Les tableaux de Katelyn Eichwald semblent être très influencés par cet imaginaire classique qui avait marqué Don Quichotte. On y retrouve des châteaux avec d’imposantes forteresses et des paysages isolés. Les animaux sylvestres abondent, ainsi que les fleurs douces et débordantes. Il n’empêche toutefois pas la singularité liée à l’aspect enchanté de ces compositions. À travers une utilisation scintillante de la couleur et de la saturation inégale du pigment, l’artiste réussit à caractériser ses œuvres avec une allure magique et inquiétante.
Il est largement connu que Don Quichotte était tellement immergé dans ses livres de chevalerie qu’il ne pouvait pas distinguer la réalité des fictions qu’il lisait. Pour lui, la frontière entre le vrai et la fantaisie n’avait pas de limites précises. Le héros de Cervantès nous montre à quel point la fiction peut faire rayonner la réalité. Eichwald semble en avoir conscience: la fantaisie a un énorme pouvoir de transformation du monde. Dans son travail, la frontière entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas reste très fine. Cela explique pourquoi, en contemplant ses œuvres, on a l’impression d’être pris au piège dans un conte.
Une certaine vision pastorale : désir de simplicité
Depuis le Moyen Âge, le château n’a pas seulement été compris comme une construction purement militaire. La représentation du château dans l’art et la littérature a permis de dépasser la dimension du monde guerrier, contribuant à l’élaboration de nouvelles conceptions de celui-ci.
La représentation du château dans l’art et la littérature a permis de dépasser la dimension du monde guerrier, contribuant à l’élaboration de nouvelles conceptions de celui-ci.
Il y a une littérature très riche autour du château : on y retrouve des châteaux hantés, des forteresses intérieures, des citadelles noires et ténébreuses ou des palais des contes de fées.
Katelyn Eichwald représente des châteaux solitaires et arcadiens. Elle nous plonge dans un cadre exceptionnel à la quête de soi. L’artiste américaine se rapproche de la vision pastorale en revendiquant une simplicité liée à la vie rurale. Ce genre a connu un grand succès du XVIe au XVIIe siècles, coïncidant avec la montée des théories de l’état de nature comme celle de Locke ou de Rousseau. Des tableaux tels que La Tempête de Giorgione ou Les Funérailles de Phocion de Poussin, comptent parmi les représentations les plus iconiques. Ce type de peinture s’adressait principalement à l’aristocratie et la bourgeoisie qui y retrouveraient les « vraies valeurs » qu’elles avaient oubliées.
Cependant, le genre de la pastorale dépasse ses propres limites. Son influence est arrivée jusqu’à nos jours. Thomas Crow, l’historien de l’art américain, avait déjà suggéré cela à propos de l’art contemporain dans les années quatre-vingt-dix. Il avait placé des artistes tels que Robert Rauschenberg, Jasper Johns ou Duchamp à l’aube d’un renouvellement du culte de l’enfance et de la simplicité. Dans leurs travaux, on retrouve une esthétique de la participation qui substitue les horizons limités de l’enfance aux pouvoirs modestes de chacun par la voie du jeu. Les compositions de Katelyn Eichwald semblent être également reliées par ce désir de simplicité. L’artiste se concentre sur des figures banales, comme de cisailles de jardin ou une tasse de thé, ainsi que sur des détails enfantins, comme la couleur rose des murs d’un château, la forme de papillon d’un collier et la texture d’une tresse de cheveux. La recherche de la simplicité semble construire une nouvelle façon d’être au monde. Ce nouveau rapport avec la réalité ne sera pas possible dans l’héroïque, mais dans l’humble.
Un jeu de tarot ?
En regardant les tableaux de Katelyn Eichwald, on a l’impression de percevoir une certaine forme d’intemporalité. Cette sensation du temps qui s’arrête n’est pas fortuite, car l’artiste s’inspire régulièrement de nombreuses captures d’écran qu’elle prend en regardant des films sur son ordinateur portable.
À travers ses peintures, Eichwald proposerait différents éléments d’un même récit. Le spectateur lira les tableaux de la même manière qu’il interpréterait les cartes d’un tarot : comme des scènes successives d’une histoire. Dans Le château des destins croisés (1973), Italo Calvino décrit une auberge de voyageurs isolée dans un château situé à l’orée d’une forêt. Assis à table les invités, quelqu’un sort un jeu de cartes de tarot et, un par un, chacun d’entre eux utilise les cartes pour raconter l’histoire de son arrivée à l’auberge. Les interprétations des cartes ont été utilisées par Italo Calvino comme un outil pour se déplacer dans l’histoire.
Dans l’exposition de Katelyn Eichwald le spectateur peut réarranger les peintures à l’infini – à la manière des cartes de tarot – pour créer sa propre interprétation. La signification de chaque peinture dépendra de la place qu’elle occupe dans la succession des peintures qui la précèdent et la suivent. À partir de cette idée, l’histoire semble évoluer de manière autonome.
Les œuvres de Katelyn Eichwald vont au-delà de la naïveté du genre pastoral en reflétant la réflexion de l’artiste sur le temps. Ces peintures, comme n’importe quel jeu de tarot, nous transportent au-delà du récit. En effet, l’artiste parvient à nous emmener vers un lieu de souvenir qui n’est pas spécifique, mais hautement personnel à chacun d’entre nous.
Venez en profiter à la galerie Sultana de Paris et Arles jusqu’au 28 mai !