Image Caption KAWS THE KAWS ALBUM 2005 acrylic on canvas 101.6 x 101.6 cm Private collection © KAWS Installation view of KAWS’ MAN’S BEST FRIEND, 2014 on display in KAWS: Companionship in the Age of Loneliness at NGV International, Melbourne 2 0 September 19 – 13 April 2020 . Photo © Tom Ross Installation view of KAWS: Companionship in the Age of Loneliness at NGV International, Melbourne 2 0 September 19 – 13 April 2020 . Photo © Tom Ross
Installation view of KAWS: Companionship in the Age of Loneliness at NGV International, Melbourne 20 September 19 – 13 April 2020. Photo © Tom Ross

L’artiste américain Brian Donnelly, plus connu sous le sobriquet de KAWS, offre un bouquet printanier d’œuvres versicolores qui mettront en joie les visiteurs de la Galerie nationale de l’État du Victoria (NGV). Visible jusqu’en avril 2020, l’exposition intitulée KAWS : Companionship in the Age of Loneliness, retrace les 25 dernières années de la carrière de l’artiste new yorkais natif de Jersey City. Au programme : des peintures, des sculptures, des objets design, des art toys et des produits dérivés (sacs fourre-tout, puzzles, assiettes de collection, cartes lenticulaires, etc.) qui témoignent d’une stratégie mercatique rondement menée.

Un art issu de la rue qui se veut populaire

THE KAWS ALBUM 2005 acrylic on canvas 101.6 x 101.6 cm Private collection  © KAWS
THE KAWS ALBUM 2005 / acrylic on canvas
101.6 x 101.6 cm Private collection © KAWS

KAWS a forgé sa réputation dans l’espace urbain en devenant artiste graffeur, dans un premier temps en s’appropriant les surfaces pariétales de la ville pour y apposer son nom dans un format spectaculaire, puis en détournant des affiches publicitaires (voir UNTITLED, 1996-1999, les cinq affiches retravaillées ci-dessous) pour y laisser sa griffe inspirée du pavillon noir : un visage crâniforme au graphisme cartoonesque marqué par deux croix en guise d’yeux.

Ayant travaillé pour les studios Disney, il se nourrit par ailleurs de l’univers enchanteur des dessins animés (Les Simpson, Bob l’éponge, les Schtroumpfs, etc.) et se les approprie en pastichant leur nom avec des indices de son identité. J’en tiens pour exemples probants les Simpson qui deviennent les Kimpson (illustration ci-contre : THE KAWS ALBUM, 2005) et la graphie de “Smurfs” (soit les “Schtroumpfs”, en anglais) altérée en “Kurfs”. En substance, un travail d’appropriation et d’incorporation que d’aucuns jugeront facile et qui fera difficilement songer à du grand art. On serait même tenter d’y voir la prostitution de l’art contemporain à des fins mercantiles. Quoi qu’il en aille de cette hypothèse, KAWS, dont l’œuvre ressortit également au design, participe de belle manière à la démocratisation de l’art.

Installation view of KAWS’ UNTITLED (GUESS), 1999, UNTITLED (DKNY), 1997, UNTITLED (CALVIN KLEIN),1997, UNTITLED (CALVIN KLEIN),1997 and UNTITLED (NICOLE MILLER), 1996  Photo © Tom Ross
Installation view of KAWS’ UNTITLED (GUESS), 1999, UNTITLED (DKNY), 1997, UNTITLED (CALVIN KLEIN),1997, UNTITLED (CALVIN KLEIN),1997 and UNTITLED (NICOLE MILLER), 1996 Photo © Tom Ross

La voie du succès commercial : entre dérivatif et dérivations

Si l’art, inducteur d’émotions, propose un excellent dérivatif au spleen et à la routine du morne quotidien, c’est parce qu’il dispose de cette capacité à transporter le spectateur dans son imagination vagabonde. Celui de Kaws procède bien souvent de dérivations à partir d’œuvres préexistantes. La filiation est des plus évidentes du côté de l’art contemporain avec des figures de proue comme Damien Hirst et son goût prononcé pour le macabre, le prince du pop art Andy Warhol (tant pour ses sérigraphies multicolores que pour sa technique du camouflage),[1] et Ron Mueck [prononcé ’mju :ik] qui, avec ses sculptures surdimensionnées en résine de fibre de verre, n’a percé que tardivement dans ce milieu.

KAWS se trouve dans cette situation paradoxale où ses œuvres connaissent une flambée des prix et se vendent à prix d’or (CONTROL étant depuis 2015 l’acquisition d’une œuvre de graffiti la plus chère au monde)[2], en raison de leur grande accessibilité, mais leur portée semble être limitée, pour l’essentiel, aux Etats-Unis et à l’Asie (avec une forte présence au Japon). Du côté du domaine francophone, les exégèses sur son travail se font rares et il n’existe à ce jour qu’une seule monographie sur son œuvre protéiforme.[3]

Une poétique du démembrement qui flirte avec le macabre

Installation view of KAWS’ MAN’S BEST FRIEND, 2014 Photo © Tom Ross
Installation view of KAWS’ MAN’S BEST FRIEND, 2014 Photo © Tom Ross

Les symboles du crâne et des fémurs entrecroisés sur le pavillon noir des pirates sont un memento mori que l’artiste a repris à son compte en guise de signature. Les yeux représentés en croix, que l’on pourrait même imaginer être énucléés, forcent eux aussi l’analogie avec le macabre.

Les sculptures en bronze, en aluminium et en résine de fibre de verre, toutes peintes de sorte que le matériau ne constitue plus une composante de l’identité de l’œuvre d’art, sont pour certaines évocatrices du célèbre dessin animé Itchy et Scratchy, mise en abyme que l’on retrouve fréquemment  dans les Simpson. En témoignent deux sculptures qui se font pendant : COMPANION (RESTING PLACE), 2013 et COMPANION (ORIGINAL FAKE), 2011. Les aficionados de cette série culte ne manqueront pas de déceler un parallèle entre les sculptures de KAWS dont les tripes à l’air rappellent tant les écorchés des études médicales que les épisodes cocasses de cette souris bleue rouée et de ce chat noir patibulaire qui sans cesse guerroient jusqu’à finir dans un bain de sang provoqué par des décapitations, des lacérations et des éviscérations.

La poétique du démembrement est aussi visible dans la grande œuvre mosaïque qui figure le Snoopy de Charles Schultz et son companion fidèle, Woodstock (voir KAWS’ MAN’S BEST FRIEND, 2014). L’action morcelée de cette représentation invite l’imagination des spectateurs à se glisser dans les interstices et à combler les blancs de la perception. Ce mécanisme cognitif de base est une seconde nature chez l’homme puisqu’il sous-tend la compréhension de toutes les histoires, fussent-elles littéraires ou picturales.

Si Brian Donnelly semble s’étonner de son succès, il n’en ignore pas moins que son art s’appareille autour de représentations chères à la culture populaire et au monde de l’enfance. Elles parviennent sans peine à flatter nos plus beaux souvenirs, ceux imprégnés de chaleur affective que l’on garde jalousement pour soi, comme le trésor qu’un flibustier aurait ravi.

[1] Vous trouverez son Auto-portrait # 9 au deuxième étage de la galerie.

[2] Lire l’article de Roxana Azimi: https://www.lemonde.fr/argent/article/2019/07/01/les-bonnes-affaires-de-kaws_5483618_1657007.html

[3] https://store.perrotin.com/fr/livres-films-disques/10000099-kaws-monographie-9780847834341.html