Au centre, kimono de mariée shiromuku © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine

Aux confins de la rivière de mots du musée du Quai Branly se dévoile le vêtement le plus iconique d’Extrême-Orient. Objet de fascination dans les pays occidentaux grâce aux films de samouraïs de Kurosawa ou plus récemment grâce aux mangas, le kimono est plus qu’un vêtement d’apparat, il concentre en lui toute une culture et une philosophie qui se logent dans tous les détails de ce vêtement d’exception. Du plus simple au plus complexe, l’exposition, qui s’offre à vous jusqu’au 28 mai 2023, se propose d’explorer les variations de ce vêtement si singulier et de le restaurer dans son historicité.

J’y vais donc en kimono, le thème m’oblige. Puisque je sors et que marcher pieds nus est du plus mauvais effet, je recouvre mes pieds des chaussettes tabis – celles qui ont inspiré les bottines Margiela. Le nagajuban, sorte de sous-vêtement blanc qui forme le col blanc, est la première grande pièce qu’il me faut mettre, attaché par une ceinture datemaki. Puis le kimono en soie noir le recouvre, avec le côté gauche sur le côté droit. Vient ensuite ce moment complexe où il me faut nouer la ceinture obi longue de quatre mètres. Cette opération réalisée avec succès, je tourne la ceinture de sorte à faire apparaître le nœud, masculin, dans mon dos – car les femmes réalisent un autre nœud. Puis, je mets le hakama, le pantalon large à sept plis du kimono, pour ensuite enfiler le haori, la veste du kimono brodée à l’intérieur, que j’attache avec le haori-imo, sorte de cravate de kimono. Je chausse les getas et me voilà parer pour affronter les rues parisiennes avec cette tenue non-adaptée aux longs couloirs du métro… Gambate !

Kimono d’extérieur, uchikake, Kyoto, 1860-80 © Victoria and Albert Museum, London

Un héritage

Portez le kimono et vous aurez l’impression de porter des siècles d’histoire. Il n’est pas comme notre costume trois-pièces, finalement assez jeune dans l’histoire de la mode : cent cinquante ans environ. Si l’exposition du musée du Quai Branly commence durant la période Edo, au XVIIe siècle, où le kimono s’épanouit, celui-ci naît véritablement au VIIe siècle en tant que sous-vêtement sous le nom de kosode qui signifie littéralement chose portée. En forme de T, le vêtement se portait sous d’autres couches. L’exposition explique très rapidement ceci dans le premier couloir, un peu étroit, de l’exposition.

Le terme, lui, n’apparaît qu’au XIIIe siècle et c’est au XVIIe siècle qu’il devient l’apanage de l’aristocratie pour tomber en disgrâce durant l’ère Meiji, période où le Japon s’ouvre à l’Occident et à ses vêtements, jugés plus modernes et moins contraignants. En tissus précieux, le kimono est un vêtement le plus souvent associé aux classes supérieures de la société japonaise, mais c’est bien la classe marchande qui a permis l’essor de ce vêtement au XVIIe et XVIIIe siècle à Kyoto.

Le kimono est un vêtement de tradition et de transmission. Le patron d’un kimono est relativement simple car il s’agit de pièces rectilignes assemblées ensemble. Il est donc aisé de rallonger ou de raccourcir ce vêtement et le transmettre aux futurs générations, de mère en fille. Lorsque je côtoyais l’artiste Setsuko Klossowska de Rola, veuve du peintre Balthus par ailleurs, j’étais fasciné par les kimonos qu’elle portait quotidiennement, hérités des femmes de sa famille depuis des générations. Elle m’expliqua, un jour, alors que nous prenions le thé dans son atelier, la manière dont on nettoie un kimono : découdre chacune des pièces pour les laver et recomposer le vêtement.

Aujourd’hui encore, le kimono demeure et revient comme étant un vêtement moderne. Ne le portant que pour des occasions qui me tiennent à cœur et pour rendre hommage à ce qu’il incarne, je ne peux que me réjouir de voir que le kimono fascine et se modernise. L’exposition, à ce titre, a cette visée. Si elle ne propose pas une étude très spécialisée du kimono, mais plutôt une approche généraliste, elle a au moins le mérite d’inscrire le kimono dans une continuité et n’en fait pas un vêtement qui appartient au passé. En ce sens, le spectateur admirera 200 vêtements d’hier à aujourd’hui.

Un vêtement codifié

Mettre un kimono est un art complexe, vous l’aurez compris dans mon préambule. L’exposition montre toute la complexité de ce vêtement qui se loge dans les plus petits détails : broderies, couleurs, longueur des manches etc. Si l’on compte les différentes parties d’un kimono pour femmes, quinze éléments le composent et peuvent faire l’objet d’une attention particulière.

Kimono, intitulé “Beyond”, MORIGUCHI Kunihiko, Kyoto, 2005 © The Khalili Collection of Japanese Art

Le kimono pour femme est plus orné que celui de l’homme qui est plus simple et composé de moins de pièces. Si le kimono peut se porter quotidiennement, il est d’usage de le porter lors d’occasions spéciales. Différents kimonos composent les différentes saisons et les différentes occasions, mais aussi le statut social. Par exemple, une femme célibataire pourra porter le furisode, un kimono aux manches très longues et très colorées. Les mariés, eux, porteront un kimono spécial, composé notamment d’un shiromukupour la mariée. Un bel exemple est d’ailleurs exposé.

L’exposition est belle, car il est possible de voir une multitude de créations dont une de Moriguchi Kunihiko, « trésor national vivant », que la Maison de la Culture du Japon avait honoré d’une exposition il y a maintenant six ans. La diversité des motifs fascine et interroge. On distinguera un kimono masculin d’un kimono féminin par sa forme, sa couleur mais aussi par la présence des tomoe, emblème héraldique de la famille. Le visiteur remarquera aussi des motifs animaliers comme la grue, kissho monyo, présage de chance, que l’on brode le plus souvent sur les kimonos des mariées. La fameuse fleur de cerisier, sakura, est représentée pour le printemps. Nombre de kimonos – dont le mien – présentent aussi des scènes peintes inspirées des classiques de la littérature. Si le visuel n’est pas apparent, mais réalisé sur la doublure, il n’en demeure pas moins exceptionnel.

Il serait impossible de détailler tous les kimonos présentés, des plus anciens aux plus contemporains. L’exposition donne un bel éventail de ce que peut être le kimono, même si la dimension rituelle du vêtement est présentée rapidement.

Vers la modernité

L’exposition ouvre un pan sur la modernité et l’évolution du vêtement qui, aujourd’hui, brouille les pistes en se nourrissant à la fois du vêtement traditionnel et du vêtement occidental. Si l’on regarde avec attention la mode occidentale des années 20, celle-ci s’inspire beaucoup de la forme ample des kimonos, comme encore aujourd’hui avec certains cols ou manches…

Le kimono devient symbole, emblème d’un pays qui en 1955 donne le statut de « Trésor National Vivant » aux créateurs soucieux de préserver des pratiques ancestrales. Le visiteur découvrira donc autant des vêtements de Paul Poiret que d’Hiroko Takahashi, créatrice contemporaine de kimono, ou le kimono que revêt la reine Apailana à la fin du film Star Wars La Revanche des Sith. Le kimono de Freddie Mercury vaut le détour, ainsi que les créations contemporaines des grands designers. Là est la partie de l’exposition la plus commerciale et sans doute la moins intéressante.

Ce vêtement inspire. Le cinéma, la littérature et les estampes ont contribué à son mythe et au regard fantasmé que le monde a sur lui. La figure de la geisha qui porte le kimono d’apparat suffit à témoigner de l’engouement et de la fascination dont le kimono fait l’objet. Il semble que le kimono aujourd’hui soit une variation sur un thème. Il est une source d’inspiration inépuisable et cette exposition en témoigne.

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L’exposition est plaisante, intéressante, touchante pour celui qui porte le kimono, peut-être un peu décevante pour celui qui aurait aimé une présentation plus précise. Malgré tout, les pièces présentées sont remarquables et forcent l’admiration. Le visiteur ne peut que comprendre, en voyant les détails et la complexité du vêtement, que le kimono n’est pas un vêtement comme les autres et que porter le vêtement traditionnel signifie aussi embrasser toute une culture et une philosophie de penser.