La Conspiration de Paul Nizan est bien ce livre culte pour tous ceux qui ressentent avec âpreté dans leurs tripes la nécessité de l’engagement (politique ou amoureux) sans possibilité de retour, pour rétablir l’être dans sa tragédie. La jeunesse y est rétablie comme l’âge béni où l’avenir doit être insulté au risque de s’en priver.
La Conspiration est un roman de Paul Nizan paru en 1938. Il y est question de la jeunesse et de sa capacité à se brûler les ailes dans l’engagement radical, qu’il soit politique pour une hypothétique révolution ou amoureux pour vivre une grande histoire sans lendemain. Il faut dire que, lorsqu’on est issu de la bourgeoisie, la seule attitude honnête est d’insulter l’avenir, y compris au risque de sa vie. Ce qui est en jeu est la possibilité de devenir le héros de sa propre narration, il sera bien temps de consentir à l’âge adulte après avoir mené sa propre guerre. L’histoire racontée dans La Conspiration peut tout à fait être extraite de l’époque. On se fiche éperdument du contexte géopolitique, l’actualité et la politique ne sont que des prétextes à dire ce qu’est la jeunesse de toute éternité, et l’être, s’il survit à cet âge des possibles.
L’histoire racontée dans La Conspiration peut tout à fait être extraite de l’époque. On se fiche éperdument du contexte géopolitique, l’actualité et la politique ne sont que des prétextes à dire ce qu’est la jeunesse de toute éternité
Fils de bourgeois
Bernard, Philippe, Serge et les autres. Ils se sont connus au lycée, ils traînent désormais rue d’Ulm et nous sommes à la fin des années 1920. Bernard Rosenthal se veut le chef de file de la petite bande. Ensemble, ils décident d’agir avec les compétences qui sont les leurs : ils vont créer une revue marxiste qu’ils appelleront La Guerre civile. Tout un programme ! Sauf pendant les grandes vacances toutefois, la révolution sera priée de patienter… Neuf numéros par an suffiront. Ces jeunes gens odieux, irresponsables, prêts à l’improvisation, ne sont pas toujours crédibles pour prôner la révolution mais on comprend qu’ils veulent surtout expier la tare congénitale d’être nés dans la bourgeoisie. Si le charme est discret, le grotesque y est criant pour des jeunes gens clairvoyants qui cherchent à s’en distinguer. « Quel malheur de traîner avec soi des problèmes de deux mille ans, les drames d’une minorité ! Quel malheur de n’être pas seul ! » Et oui, la table rase souhaitée est surtout une table rase toute personnelle… Les grandes idées affluent, on se gargarise de phrases et de concepts : « Une encyclopédie moderne ne saurait se fonder que sur la sincérité de l’insolence. » Les jeunes gens ressentent l’ivresse des départs sans retour, des engagements. Ils oseront même aller plus loin, organiser le renseignement industriel pour préparer le grand soir, permettre le sabotage du parti de l’ordre. « Rien n’est simple comme le début d’une grande conspiration. » Ils veulent être dans l’Histoire jusqu’au cou, ne surtout pas louper son train et mettent tous « leurs espoirs dans l’aggravation du désordre. »
La vie dont ils sont les héros
L’histoire des jeunes gens nous est racontée à travers la narration de Paul Nizan et de la correspondance entretenue entre les héros, notamment pendant les grandes vacances. Le procédé nous permet d’entrer dans la peau de chacun et d’éprouver la psychologie des jeunes cherchant le bon aiguillage avec soif. Par des lettres, ils s’avisent mutuellement de l’avancée vers l’âge de l’engagement. La conscience d’être une génération avec des responsabilités s’exprime ainsi. S’ils écrivent tant, c’est qu’ils doivent s’inventer la vie dont ils seront les héros. « Il n’eût pas été un intellectuel s’il n’avait pas été sensible à tous les dépa...