Zone Critique revient sur le dernier roman de l’auteur d’Une légende de Bangkok, Jean-Marc Moura. A travers le récit de Franceska, jeune fille capable de chanter tous les sons du monde, La musique des illusions interroge la tension entre progrès et conservatisme.
La musique des illusions nous offre le récit de la vie de Franceska, jeune fille dotée d’une oreille absolue, et d’une capacité de reproduction sans limites, sauf peut-être celle du dernier souffle avant la mort. Elle chante tous les sons du monde : « Lentement, avec des soins infinis, elle fit résonner la vibration de l’espoir en une vie merveilleuse, le désir premier, immémorial, de se noyer dans la lumière éternelle. Sa voix gagnait en légèreté, s’envola par-dessus la foule, tournoyant sous la voûte. Personne ne s’y trompait, celle qui pouvait chanter ainsi s’adressait aux anges ». Elle, pleine d’envie de progrès et de compréhension face au monde et aux sciences, est confrontée dans sa campagne de la fin du dix-neuvième siècle à un conservatisme religieux incarné par le prêtre Alexis Cavelle.
Dans son dernier roman, Jean-MarcMoura nous donne a entrevoir un imaginaire de la condition humaine où cohabitent des personnages simples autour d’un caractère complexe et complet. Franceska évolue dans un monde peuplé d’archétypes, de l’amoureux transi au prêtre arriviste. L’ecclésiaste ambitieux et presque athée voit l’Eglise comme un moyen d’assouvir ses prétentions de pouvoir et de renommée. Il considère l’institution religieuse comme un tremplin vers la gloire avant de basculer dans une dévotion satanique.
Entre fantasme et réalité
Dans un univers mystique où la sœur Véronique du Néant fascine par des résurrections régulières, Franceska porte le blâme de la sorcière. Un esprit au dessus des autres, un esprit qui entend les autres. Elle se lance dans une quête perpétuelle du sens qui se heurte aux injonctions de l’Eglise. Son époque est tiraillée entre l’obscurantisme d’hier et le progrès à venir. L’anathème porté par Jean-MarcMoura contre les institutions religieuses est véhiculé par le personnage de Franceska bien que la figure de Dieu reste omniprésente tout au long de l’ouvrage. L’Eglise est une organisation politique et non la manifestation d’un pouvoir transcendant. L’auteur pousse le lecteur à s’interroger sur les rapports entre l’ombre d’un paradigme déchu et l’avènement d’une nouvelle ère. Le poids des anciennes croyances freine l’enthousiasme pour le progrès.
Franceska incarne un symbole : elle se pose comme une allégorie de la modernité
Franceska incarne un symbole : elle se pose comme une allégorie de la modernité. C’est un ange du XXème siècle qui descend sur une terre qui ne s’est toujours pas remise de la Révolution. Elle hypnotise les foules. On pourrait presque voir en elle une figure du positivisme tel que l’a théorisé le philosophe Auguste Comte : la science devient une religion.
Jean-Marc Moura nous donne l’illusion d’un réel. Il utilise l’Histoire comme principe romanesque, ponctuant son récit d’anecdotes véridiques qui servent la structure du récit. Son style rythmé sert le témoignage qu’il écrit. En s’appuyant sur des passages de texte issus du journal intime de Franceska, l’auteur se pose comme l’homme qui rend grâce à celle qui n’a pas eu le temps de parler. Il achève par ce procédé la continuation tragique du destin de la jeune fille.
- La musique des illusions, Jean Marc Moura, Albin Michel,384 pages, 20.90 euros, mai 2014
Ninon Legrand