Un descendant discret qui a souhaité rester anonyme vient de retrouver dans les archives familiales de Jean de La Fontaine, entre deux contes libertins inédits, un feuillet tardif écrit vraisemblablement peu de temps après la découverte du caractère contagieux de la tuberculose par le grand vétérinaire Jean-Baptiste Huzard. Notre poète, délaissé par la Cour, se mourait lentement de ce mal moderne lorsqu’il écrivit cette courte fable : « La Peste et le rat des champs ».
Un rat des champs souvent songeait aux rats des villes,
Roulés dans le velours langoureux des palais,
Nourris gratis par un maître servile,
Croquant force reliefs laissés par le balai.
Délice inatteignable, hélas
Aux ratons de sa race !
Au cœur de son trou de misère
Il gémissait de rage et soignait son ulcère.
Il sut soudainement de source saine et sûre
L’étrange enchantement, la sombre meurtrissure
Qui frappait les cités.
Le fléau s’abattait avec férocité.
Fermés les restaurants !
Finis les ortolans !
Plus de festins ni de bombances,
Tarie la corne d’abondance.
Les rats des villes par milliers
Aux champs se cherchaient des alliés.
Notre bon rat rural fut bientôt assailli
Nombreux parents lointains, nouveaux meilleurs amis
Fuyant Paris, l’épidémie,
Mendiaient l’asile en son taillis.
Bon joueur il leur ouvre sa porte,
Ravi des restes qu’on lui porte.
De sa cave il offre boissons,
Calembours, rires et chansons.
La joie brillait dans la tanière
Maintes nuits ivre de lumières.
Quand tout fut avalé, chacun dut repartir,
Jura, crachant, de revenir.
Mais après quelques mois le terrier restait vide,
Et le trou redevint froid, lugubre et livide.
Le rat des champs longtemps pleura l’inconsistance
Des amitiés de circonstance.
Étienne De L’Estoile