Grand-Rue de Lausanne
Grand-Rue de Lausanne

Figures mythiques, les Parques, créatrices et régisseuses de la vie des Hommes, s’annoncent être a priori au centre de cette Petite monnaie des jours que nous dévoile Janine Massard. Un récit qui, à l’image des Parques elles-mêmes, est pris « entre deux extrémités » si bien que parfois il serait semblable à un « long ruban gris dans le matin ».

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2013

Dans la Suisse d’après-guerre, c’est par le personnage de Jennifer âgée d’une dizaine d’années, que  nous parvient un regard acerbe et piquant à l’égard d’une famille bien étrange : Henriette cette « archaïque et exemplaire aïeule », Rolande et Marcel, petits gens du peuple en mal de reconnaissance qui cultivent tant bien que mal « leur jardin » comme l’a fait Candide avant eux, et Marie, sœur iconique entre toutes. Les Parques quant à elles se trouvent très peu exploitées, dans ce roman qui passe de l’histoire mythique à l’histoire familiale ; de simples vieilles femmes avec des souvenirs, noyées dans l’incompréhension d’un monde en pleine mutation sociale et économique…

Si l’ancrage de l’histoire au sein de ce nouveau monde, celui où Churchill dévale la Grand-Rue de Lausanne en fumant son éternel cigare, est bien réel, le lecteur se trouve cependant confiné dans une atmosphère intemporelle, brouillée, rendue parfois incohérente par la place elle-même obscure des personnages mythiques. Le temps s’étire sans fin, pesant d’ennui et de lassitude ; les personnages soufflent, endurent cette lassitude intrinsèque à leur classe sociale, eux qui pourtant font l’objet de sollicitations permanentes.

Pourquoi alors intégrer les Parques au récit  ? Seraient-elles un simple prétexte aux nombreux portraits acerbes des figures familiales, à la description piquante des habitudes ancestrales que sont « la sainte claque éducative que l’on administrait à ceux que l’on chérissait », et la corvée de blanchisserie qui incombe à la jeune narratrice ?

Toujours est-il qu’il subsiste une impression mitigée quant à l’exploitation du sujet au terme de la lecture

Toujours est-il qu’il subsiste une impression mitigée quant à l’exploitation du sujet au terme de la lecture, même si l’écriture poétique de Janine Massard se lit agréablement ; et il s’avère que si le récit, comme la Grand-Rue, est « protégé du vent », le lecteur perçoit malgré tout « le souffle d’un ailleurs indéfinissable qui ressemblait à une musique discordante, se glissant sous les portes, nous amenant avec une percussion inattendue, parfois les échos des idées traversant le monde ».

  • La petite monnaie des jours, Janine Massard, Editions d’en bas, 2013, 192 pages, 12 euros. 

Camille Gancel