Après le jubilatoire Roman de Jeanne et Nathan, il y a deux ans, la difficile épreuve du « deuxième album » est relevée haut la main par Clément Camar-Mercier avec La Tentation Artificielle, roman irréductible, aussi flamboyant que profond, qui ose poser ouvertement la question du Diable, et celle de l’âme, dans un monde où l’IA est Dieu, et le code son roi – confirmant au passage que la littérature est une chienne : plus l’humanité approche de sa fin, mieux elle se porte.

Le diable tient-il dans une ligne de code ? Ou plutôt : le code lui-même, la réduction-retranscription du monde à son écriture codée, la réduction de la vie – donc de l’homme, donc de l’Amour – à la matière chiffrée (toute matière est une équation), à ses aspects mécaniques, algorithmiques, n’est-elle pas l’aboutissement du projet luciférien ?
Déjà, en 1817, dans Le Marchand de Sable, Hoffman présentait le simulacre machinique de l’humanité comme une figure de cauchemar, une incarnation du mal. Plus d’un siècle et demi plus tard, Jean Michel Truong (l’un des pionniers européens de l’intelligence artificielle), dans son génial Le Successeur de Pierre (sans doute l’un des romans français les plus visionnaires qui soient), puis dans son essai Totalement Inhumaine, arguait que l’humanité était dupée par le silicone, qu’elle n’était qu’un véhicule jetable et périssable préparant l’avènement d’une « intelligence » qui aspire à s’autonomiser des contraintes et pesanteurs de la vie organique. S’il ne fait pas référence au Diable, il décrit bien ce qui ressemble à une ruse de la raison satanique.
Aujourd’hui, la prise de pouvoir ultra-rapide des algorithmes et de l’IA sur le monde et sur nos vies (sur nos destinées), la manière dont elle remplace le monde par ses simulacres, le vrai par le faux, l’amour par la consommation, tout en nous donnant l’illusion de la liberté et de l’accomplissement de soi, semble confirmer cette hypothèse.
Là où la religion voulait relier, l’IA sépare (autre étymologie du diable, comme de Satan), renvoyant chacun, par ses capacités d’adaptation à ses propres désirs, à lui-même.
“Il incombe plus que jamais à la littérature d’opérer, toujours, ce pas de côté, cette brèche dans l’aplat du réel algorithmé.”
De fait, les nouvelles IA ont chaque fois un peu plus les attributs objectifs du divin (ubiquité, omniscience, et même capacité à réaliser des miracles, comme résoudre des problèmes mathématiques réputés insolubles ou découvrir en temps record des molécules salvatrices) – ce qui est en soi une part importante du projet Luciférien : remplacer Dieu. Mais surtout elles œuvrent chaque jour un peu plus à la destruction de l’humanité, tout en la convainquant qu’elle s’émancipe et progresse : les spécialistes parlent déjà de catastrophe neurologique planétaire, tandis que toutes les études montrent que les IA (au sens large) nous rendent plus idiots, moins aptes à la réflexion conceptuelle et à l’apprentissage, moins aimants, moins patients, moins tolérants, moins fertiles, plus irritables et plus agressifs.
Quand on parle IA, on ne parle pas que de ChatGPT et consorts, hein, mais des algos prédictifs qui, aujourd’hui déjà, décident à l’avance de c...