La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche divise la rédaction de Zone Critique. Le film, palme d’or au dernier festival de Cannes, narre le récit d’Adèle, lycéenne qui se découvre lesbienne et tombe éperdument amoureuse d’Emma, étudiante aux Beaux-Arts. Superficiel pour Lola Cloutour, bouleversant pour Sébastien Reynaud : c’est le Pour/Contre du mois.
POUR : Adèle au-delà des mots
Je ne crois pas avoir été, une seule fois dans ma vie, aussi bouleversé par une œuvre, de quelque support que ce soit, que je ne le fus par La vie d’Adèle.
J’ai même intuitivement, devant la violence de l’émotion qui s’est faite jour en moi pendant, et au sortir de la projection, décidé de faire taire toute tentative d’analyse, et de formalisation de mon ressenti.
Il m’est donc difficile de mettre des mots sur La vie d’Adèle. Mais est-ce bien nécessaire ? Car il semble que son ambition soit toute entière contenue dans son seul titre : brosser, ni plus ni moins, le portrait d’une vie, qui est celle d’Adèle, lycéenne qui se découvre lesbienne, institutrice éperdument amoureuse de l’hypnotisante Emma, femme déchirée par un amour tragique et sublime.
Mais ce qui rend le dernier film d’Abdellatif Kechiche hors-norme, c’est la manière dont il arrive à coller au plus près de son sujet, au plus près de l’épopée d’Adèle, à nous la rendre si palpable et intensément vraie. La terrible véracité des dialogues, la grande fluidité du récit, sa longueur, la beauté de la composition des images et des couleurs, le jeu d’Adèle Exarchopoulos enfin, émouvante aux larmes (au point d’éclipser totalement Léa Seydoux), y sont assurément pour quelque chose.
Daniel Bougnoux, préfacier des œuvres de Louis Aragon en Pléiade affirme du roman Aurélien qu’il est impossible de rester froid à sa lecture si l’on a déjà aimé une fois dans sa vie. Il en va, à mon goût, de même pour La vie d’Adèle : comment, devant des images d’une telle puissance, devant une histoire d’une telle beauté, devant, enfin, une héroïne aussi touchante, ne pas ressentir jusque dans sa chair le drame qui se joue sous nos yeux ?
La vie d’Adèle n’est rien d’autre qu’une grande tragédie sentimentale contemporaine
A partir du destin si particulier d’une adolescente qui se découvre lesbienne, Abdellatif Kechiche compose la plus belle fable qui soit sur les thèmes universels que sont le sentiment d’errance et de marginalité, l’adolescence, l’amour et le déchirement amoureux, le temps qui passe et l’existence qui poursuit son cours, bon gré mal gré.
Courrez-y dès aujourd’hui !
Sébastien Reynaud
CONTRE : Superficielle Adèle
Avant toute chose, précisons que j’ai couru voir La vie d’Adèle dès 9h30 du matin le jour de sa sortie. Que j’ai été époustouflée par la performance d’Adèle Exarchopoulos, sublimée par Kechiche comme l’avaient été avant elle Sara Forestier et Hafsia Herzi dans L’esquive et La graine et le mulet. Que j’ai été émue par cette histoire d’amour passionnée. Qu’Abdellatif Kechiche est un réalisateur brillant, talentueux, original et aimant le risque. Il ne s’agit donc pas ici de rédiger un quelconque procès contre le réalisateur, son œuvre ou ses actrices.
Pourtant, La vie d’Adèle m’a déçue. Car forcément, j’ai comparé l’œuvre cinématographique à la bande-dessinée de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude, dont Kechiche s’est inspiré. Sur le grand écran, je n’ai pas retrouvé les sentiments à fleur de peau des petites cases. Effacés les doutes, les peurs, les angoisses, les joies librement exprimés par les deux héroïnes. Quasi absent également le dialogue entre Emma et Adèle sur leurs relations, leurs émotions, à l’exception des (belles) scènes de rupture et de retrouvailles.
Kechiche a le mérite d’avoir parfaitement choisi son titre. Adèle, on ne voit qu’elle. Emma, incarnée par une Léa Seydoux qu’on a vu bien meilleure dans d’autres films, n’est qu’un faire-valoir. Le questionnement autour de l’identité sexuelle et du regard des autres, essentiel dans la BD, est éludé par Kechiche puisque l’on ne rentre pas dans la tête d’Adèle et que les deux filles n’en parlent pas. Elles préfèrent disserter sur Sartre, l’art, la peinture, dans des scènes qui ont peut-être un semblant de vérité, mais qui à mes yeux sont des clichés faciles.
Le questionnement autour de l’identité sexuelle et du regard des autres, essentiel dans la BD, est éludé par Kechiche
Clichées aussi les relations familiales. Une Emma épanouie venant d’une famille cultivée et créative qui mange des huîtres et boit du bon vin. Une Adèle coincée entre ses parents qui dînent devant France 3 et pour qui être artiste n’est pas un vrai métier. Cette confrontation de classes ne sert en rien le récit de Kechiche. Il l’alourdit, lui donnant une dimension sociale hors de propos. Pire, le réalisateur l’utilise pour justifier les conflits entre les deux femmes, ressassant un thème vu et revu : l’amour va-t-il permettre aux amantes de surmonter leurs différences culturo-sociales ?
J’avais apprécié la bande-dessinée de Julie Maroh, un livre beau, intelligent, sensible et sensuel. La vie d’Adèle m’a elle paru simplificatrice et superficielle. Bien loin de ce qui m’avait plu dans les précédents films de Kechiche, à savoir la fureur violente de L’esquive et la transe envoûtante de La graine et le mulet.
Lola Cloutour
- La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, avec Lea Seydoux et Adele Exarchopoulos, Palme d’or au Festival de Cannes 2013