Le marionnettiste — 2010 — Anne Van Der Linden
Le marionnettiste — 2010 — Anne Van Der Linden

Zone Critique a accepté « une invitation à devenir fou » d’Antoine Mouton, l’écrivain français vivant, qui propose une promenade énergique, hilarante et surréaliste dans la tête d’un homme, Le metteur en scène polonais.

Rappelons-nous cet extrait du livre Perturbation de Thomas Bernhard : « Chaque tête d’homme, (…), contenait la catastrophe humaine en rapport avec cette tête. Il n’était pas besoin d’entrer dans la tête d’un homme pour savoir qu’il n’y avait à l’intérieur rien d’autre qu’une catastrophe humaine. “Sans sa catastrophe humaine, l’homme n’existe même pas”, (…). L’homme aimait sa détresse, et si d’aventure il se trouvait un instant sans sa détresse, il faisait ce qu’il fallait pour être de nouveau dans sa détresse. “Quand nous regardons des hommes, nous les voyons tantôt dans leur détresse, tantôt à la recherche de leur détresse. Il n’y a pas d’homme sans la détresse humaine”, (…). »

Installation

Asseyons-nous avec le livre de l’auteur français vivant Antoine Mouton, Le metteur en scène polonais dans « un joli petit parc », sur l’un des bancs « neufs, confortables », situés en face des « arbres malades » et regardons la « folie en face », celle qui n’est pas passagère, « une folie au yeux grands ouverts », celle du metteur en scène polonais, presque polyglotte, qui jouit d’une « liberté presque totale » (« mais ce ne serait pas lui qui jouirait, ce serait sa folie », une « folie pure et simple », incurable, « sans fin »), qui croit être victime d’un maléfice, d’un sortilège, d’un mauvais sort, qui cherche la consolation auprès des deux ouvriers ukrainiens ou de l’interprète alcoolique. Asseyons-nous et regardons la nuit se redresser. Lisons Antoine Mouton.

Prise en main

Quand vous ouvrirez le livre à votre tour, vous risquerez d’entendre un bruit surprenant, « le bruit d’une dévastation », « car c’était sa folie qui était aux commandes », la folie du metteur en scène polonais qui assiste, impuissant mais pas désarmé puisqu’il va commettre l’irréparable, à l’effondrement de sa personnalité.

Contamination

Antoine Mouton, l’auteur français vivant, rédige un premier roman, Le metteur en scène polonais, qui n’est pas une pièce de théâtre bien que l’auteur français vivant nous présente la liste des personnages en tête du livre — publié cet été chez Christian Bourgois éditeur — qui comporte un intermède qui prendra fin, un aparté et un épilogue qui n’en sont pas. L’auteur français vivant romancera l’histoire, sans la mettre en scène, du directeur du théâtre français qui s’ennuie du succès régulier de ses programmations dans le grand théâtre parisien. Avide de changement et de liberté, il confie l’ouverture de la nouvelle saison théâtrale au metteur en scène polonais célèbre qui choisit d’adapter pour le grand théâtre parisien un roman de l’auteur autrichien mort. Mais une entité invisible et démoniaque contamine le roman de l’auteur autrichien mort (ainsi que celui de l’auteur français vivant, insinuerons-nous avec perfidie) modifiant les perceptions du metteur en scène polonais qui se persuade que le roman de l’auteur autrichien mort jouit d’une vie propre car il se transforme quand on cesse de le lire. L’esprit du metteur en scène polonais se fissure sous les yeux du lecteur (que nous sommes) et sous la plume de l’écrivain français vivant. Mais de cette fissure aucune vérité ne s’échappe à propos de la vie secrète du roman de l’auteur autrichien mort que le metteur en scène polonais tente d’adapter pour le grand théâtre parisien ni à propos de la vie secrète de sa femme qui est une sorcière.

Les phrases bernhardiennes d’Antoine Mouton cherchent une cohérence dans le chaos qu’il crée

Sarabande

Avec rythme, malice et harmonie, Antoine Mouton, l’auteur français vivant, sain de corps et d’esprit, dessine à l’aide de phrases longues et compliquées la folie du metteur en scène polonais pour aider le lecteur à délimiter l’espace entre la fiction et la réalité, entre les zones contaminées par la folie du metteur en scène polonais et celles qui restent saines. Mais plus nous progressons dans la lecture du roman de l’auteur français vivant et plus nous nous apercevons que tout est contaminé, que tout est piégé. Les phrases bernhardiennes d’Antoine Mouton cherchent une cohérence dans le chaos qu’il crée. La « folie irrémissible » préside au destin catastrophique du metteur en scène polonais qui entraîne tout le monde avec lui dans une sarabande de comportements inquiétants et louches. Nous assistons à son combat intérieur et extérieur, qu’il sait perdu d’avance, pour contrarier les desseins secrets de sa folie qui le contrarie. Il mènera l’enquête pour sortir du piège où il est détenu par sa démence. Nous avançons aux côtés du metteur en scène polonais  en suivant le fil de ses recherches grâce aux phrases labyrinthiques de l’écrivain français vivant qui le livreront tout entier à la folie qui le dévore.

Août 2015
Août 2015

Illusion

Vous hésiterez à faire une pause lors de votre lecture car vous craindrez d’avoir été le jouet d’une illusion, vous resterez attentifs avec votre livre ouvert, vous vous apercevrez trop tard que vous avez été ajoutés à la « liste des personnages de ce roman qui n’est pas une pièce de théâtre » par l’écrivain français vivant, Antoine Mouton, que vous imaginerez en train de se promener dans son théâtre de marionnettes qui suivent ses didascalies et qui ont renoncé à leur individualité car elles sont devenues, comme vous, les complices du chaos.

Après que nous avons lu Le metteur en scène polonais, nous croyons au miracle qui était prévisible depuis la première phrase du roman qui n’est pas une pièce de théâtre.

  • Le metteur en scène polonais d’Antoine Mouton, © Christian Bourgois éditeur, 120 pages, 12 €, août 2015
  • Vidéo réalisée par la librairie Mollat, 30 juin 2015
  • Lecture, Les bonnes feuilles, France Culture, 01 octobre 2015

Estelle Ogier