Depuis août dernier, date de sa création, le trimestriel Long Cours fait appel à des écrivains de renom, pour des grands reportages sur les problèmes éthiques et politiques soulevés par le monde dans lequel nous vivons. Un pari qui intéresse Zone Critique: rencontre avec le rédacteur en chef, Tristan Savin.
Tristan Savin: Long Cours est une revue hybride, un magazine haut de gamme vendu en librairies au prix d’un livre de poche. Dans le jargon marketing, on appelle cela un « mook », contraction de magazine et book… Comme son nom l’indique, Long Cours se consacre à l’évasion, et est donc surtout axé sur le voyage. La revue est ouverte à la science, à l’économie, aux phénomènes de société… Son pari est de raconter le monde complexe dans lequel nous vivons, d’essayer de décrypter cette fameuse « mondialisation » qui nous effraie, mais en tentant de rester positifs. Nous prenons le contre-pied de la presse « traditionnelle » et de l’internet, en ne traitant pas l’actu à chaud, en prenant le temps de réfléchir sur les sujets qui concernent l’ensemble de la planète : la religion, l’environnement, les mafias, la cyberculture, le déclin de l’Europe, la domination chinoise, la crise financière mondiale, la place des ethnies minoritaires…
Quelle place la littérature occupe-t-elle dans Long Cours ?
T.S.: Une place centrale. On ne se refait pas : je suis chroniqueur littéraire (au mensuel Lire) et moi-même auteur. J’ai la chance d’en fréquenter beaucoup, en tant que critique, et j’ai fait appel à ceux que j’aime dès la conception de Long Cours : j’ai demandé à David Fauquemberg un reportage sur la chasse aux requins en Australie, à Sylvain Tesson un récit de son tour de la Mer noire et à Alaa El Aswany (l’auteur de L’immeuble Yacoubian) de raconter la révolution égyptienne. Pour le numéro 2, j’ai envoyé Fabrice Humbert à Fargo pour enquêter sur les gisements de gaz de schiste et Caryl Ferey, l’auteur de Haka, nous a raconté les coulisses de son roman Mapuche. Et nous comprenons mieux le Chili actuel grâce à l’émouvant texte de Luis Sepulveda paru dans le numéro 3 de Long Cours… Nous avons aussi publié en avant première les souvenirs posthumes de Mark Twain aux îles Sandwich, une enquête de Roberto Saviano, des nouvelles inédites de Douglas Kennedy et William Boyd et le très beau récit de Jean-Christophe Rufin sur son pèlerinage à Compostelle… Sans oublier Gilles Lapouge, Alain Dugrand, Julien Blanc-Gras… Je suis fier d’avoir publié ces textes. Grâce à eux, les gens ne jettent pas Long Cours après l’avoir lu, ils conservent précieusement la revue, comme un livre…
Pourquoi pensez-vous qu’il est important d’écouter les écrivains sur les problèmes éthiques et politiques soulevés par le monde dans lequel nous vivons ? Nous apprennent-ils quelque chose de plus que les journalistes?
Les écrivains prennent le temps d’observer, d’écouter, contrairement à la plupart des journalistes, qui n’ont plus le temps, hélas, faute de moyens.
T.S.: Bien sûr. Les écrivains peuvent nous expliquer le monde à travers des histoires. Quand ils font un reportage, ils ont un regard décalé, ils sont dans le subjectif, ils ne sont pas formatés, ils restent libres, leur avis n’est pas dicté par des contraintes (d’audience, de publicité, de politique ou autre). Ils prennent le temps d’observer, d’écouter, contrairement à la plupart des journalistes, qui n’ont plus le temps, hélas, faute de moyens. Et ils savent raconter une histoire, nous embarquer avec un style, un rythme, du souffle…
Long Cours, en choisissant un format à mi-chemin entre le magazine de voyage et le livre, ne prend-il pas le risque de désorienter à la fois les amateurs de grand reportages et de littérature ?
T.S.: Vous avez raison, on n’entreprend rien de nouveau sans courir un risque. C’est cela, l’aventure. Long Cours est un défi, une revue aussi luxueuse et ambitieuse coûte cher à produire. On se trompe peut-être en voulant concilier reportage et littérature mais les réactions sont plus qu’encourageantes, nous avons une très bonne presse, déjà plus de quinze mille lecteurs fidèles sur les premiers numéros, des centaines d’abonnés. Les gens sont peut-être d’abord « désorientés » face à un nouveau modèle, en effet, il faut du temps pour les habituer, les apprivoiser, mais la qualité finit en général par l’emporter…
Peut-on dire que le grand reportage est finalement un exercice en partie littéraire dans sa forme et sa finalité ?
La plupart des grands reporters sont devenus écrivains, comme, récemment, Jean Hatzfeld ou Jean-Paul Kaufmannn
T.S.: Historiquement, c’est le cas. Tout le monde se souvient des reportages d’Albert Londres, de Joseph Kessel, de Blaise Cendrars, d’Antoine de Saint-Exupéry, de Ryszard Kapuscinski… Les récits de voyage de Théophile Gauthier, de Stendhal, de Dumas, de Loti, sont devenus des classiques. Sans parler des écrivains voyageurs comme Bouvier ou Chatwin. La plupart des grands reporters sont devenus écrivains, comme, récemment, Jean Hatzfeld, Jean-Paul Kaufmannn, Florence Aubenas, Lionel Duroy ou Olivier Weber (qui écrit désormais pour Long Cours). Ce n’est pas un hasard… ll y a le désir de transmettre une expérience vécue, d’abroger les contraintes journalistiques, de s’exprimer librement.
Quels seront les thèmes abordés pour le prochain numéro de Long Cours, et les écrivains qui collaboreront ?
T.S.: Après avoir consacré un dossier au réchauffement climatique, nous souhaitions revenir à « l’utopie positive » qui fait partie de notre code génétique, car nous avons tous besoin, en ces temps austères, d’exemples positifs, encourageants. Il faut du rêve pour avancer. Nous consacrons un dossier aux « villes en mutation », réputées dangereuses, mais où les initiatives explosent, qui connaissent une renaissance grâce à la solidarité et l’innovation, comme Medellin, Le Cap et Detroit. Nous emmenons aussi les lecteurs dans les îles : Philippines, Kerguelen et Océanie. Et nous avons mené une passionnante enquête sur les guerres dans le cyberespace, qui ont déjà commencé et préfigurent l’avenir. Pour ce numéro 4, nous avons fait appel, entre autres, aux écrivains Jerome Charyn, Erri de Luca, Marc Trillard et François Garde, prix Goncourt du premier roman l’année dernière… Mais il n’y a pas que du texte, dans Long Cours : nous laissons aussi la place à l’image, avec de beaux porte-folios, des récits graphiques et de talentueux illustrateurs. Une autre manière de raconter le monde…
Propos recueillis par Sébastien Reynaud