Jusqu’au 3 Mars, le Centre Pompidou accueille une multitude d’objets en tout genre, que les artistes surréalistes ont sorti du contexte courant pour les hisser au rang d’oeuvre d’art. « Le Surréalisme et l’objet » cache, derrière son titre de dissertation, une exposition bien menée présentant un sujet qui peut être lugubre mais aussi emprunt d’une ironie irresistible.
Beaubourg s’était dépassé l’année dernière avec sa retrospective surréaliste Dali, enregistrant 790 090 visites, battant son propre record consacré lui aussi au peintre catalan. Si le surréalisme et plus particulièrement Dali sont des sujets attirant les foules, la dernière exposition consacrée à une partie du même mouvement sera peut être plus boudée. Le titre un peu trop académique et le manque de communication en seront probablement les causes car il faut l’avouer, pour un novice, un titre aussi académique risque de le rebuter. Ainsi, si son intention était de se cultiver en y prenant plaisir, l’exposition « Désir et Volupté » par ses efforts de présentation aguicheuse réussira à mieux l’y convaincre malgré sa qualité passable. Ce défaut surmonté, l’exposition, qui avait pour objectif de renouveler l’approche du mouvement en se consacrant aux pratiques sculpturales, réussit son pari mêlant pédagogie et contenu scientifique avec brio.
L’objet, comme sujet du défi
1927. Ouverture de la deuxième période du surréalisme qui avec André Breton s’emprunt de politique. Les idéaux communistes poussent alors les artistes à une prise en compte du réel dans un mouvement qui jusque là le dépassait. Un nouveau défi s’impose, et l’objet en devient le sujet.
Pour relever ce défi qui contient ni plus ni moins en substance que « de répondre à la mise en cause marxiste de la fétichisation marchande de l’oeuvre d’art, à celle du genre artistique », quoi de mieux que la réutilisation d’un objet sans rien y ajouter d’autre que la signature de l’artiste ? J’admets que certains puissent s’indigner devant une roue de vélo posée sur un tabouret ou encore un urinoir signé et rebaptisé « Fontaine » si l’on n’appréhende pas la démarche de Duchamp. C’est là le grand mérite de cette exposition, faire comprendre ce qu’exposait le dictionnaire surréaliste en 1938, que le ready-made est un « objet élevé à la dignité de l’oeuvre d’art par la seule volonté de l’artiste, le prototype d’un objet surréaliste cristallisant les rêves et les désirs de son inventeur ».
Mais les désirs et les rêves de l’artiste laissent une place au mal aise, courant dans les oeuvres surréalistes, qui se justifie par l’intention même de transgresser.
Une transgression omniprésente
La première salle expose simultanément les objets ready-made rassurants de Duchamp et Man Ray mais aussi les représentations de mannequins angoissants de Chirico. Lui même le dit, « plus il ressemble à l’homme, plus il est froid et désagréable. (…) Le mannequin n’est pas une fiction, il est une réalité, une réalité triste et monstrueuse ». Un peu plus loin dans l’exposition, la salle entièrement consacrée à la Poupée par Hans Bellmer, en est un rappel et installe encore une fois un certain malaise, ces photographies étant imprégnées d’une dimension érotique due à ces poupées de silicone censées représenter au plus près la femme.
Quant à Albert Giacometti, son goût pour la violence tragique se ressent dans les oeuvres appartenant à sa (brève) période surréaliste. En effet, en 1935 il arrêtera de s’adonner à ces sculptures, provenant de modèles intérieurs, dépassant la réalité, pour retourner à un travail sur modèle.
La plus symbolique et marquante transgression se trouve dans la scénographie élaborée par Marcel Duchamp pour ces expositions surréalistes des années 30 à 60. Il cherchait sans cesse à produire une présentation novatrice, révolutionnant les lois classiques des accrochages de galeries. C’est ainsi, qu’en 1938, pour l’exposition internationale du surréalisme, il munit les visiteurs du vernissage d’une lampe torche pour qu’ils puissent découvrir les oeuvres plongées dans l’obscurité, il les invite également à habiller les mannequins (encore une fois présents) ou à observer les artistes prendre un repas sur le corps d’une poupée hyper-réaliste derrière des barreaux.
La transgression arrive à son paroxysme quand Duchamp rappelle dans l’exposition « EROS » de 1959 que l’objet surréaliste est consubstantiellement lié à l’érotisme par une scénographie on ne peut plus équivoque: une porte vaginale, du patchouli à l’entrée et une gradation de la finesse jusqu’au fond des dernières salles. La réussite du Duchamp réside dans le contenu de la dernière critique qui rapprochait l’exposition d’une boîte de nuit défiant ainsi les lois de l’accrochage.
Une scénographie réaliste
Il est clair, dès le départ, que les commissaires ont pris le parti de retranscrire l’ambiance de ces expositions surréalistes couvrant une bonne partie de la première moitiés du 20e s dans la scénographie actuelle. Le défi est relevé. La déambulation dans la rue des surréalistes trouvant sa référence dans l’exposition de 1938, tout comme l’éclairage sombre de certaines salles en sont les preuves.
Le parallèle tout au long de cette rue avec des oeuvres d’artistes contemporains comme Cindy Sherman, Paul McCarthy, Heim Steinbach, … permet de voir l’impact qu’a encore, le surréalisme sur le travail des artistes d’aujourd’hui.
Bien que populaire et célèbre, cette branche de l’art du 20e siècle reste la plupart du temps appréhendée d’une manière superficielle, empêchant alors de comprendre l’art contemporain si souvent décrié par l’opinion publique. « L’Objet et le Surréalisme » rentrant plus en profondeur dans les concepts clés du mouvement, a l’immense mérite de les rendre accessibles, fournissant alors aux visiteurs une base nécessaire à la compréhension du monde de l’art actuel. Cultivez-vous, courrez-y !
- Exposition Le surréalisme et l’objet, Centre Pompidou, 30 octobre 2013 – 3 mars 2014.
Cassandre Morelle