Le festival Impatience nous donne rendez-vous au Théâtre 13/ Glacière avec un drôle d’objet scénique, Extrême/Malecane, un ovni proche du théâtre documentaire.
Nationalisme et mauvaise conscience
Ils sont quatre comédien.nes sur scène, qui s’adressent à nous directement dans quatre langues différentes : italien, flamand, français, grec. Au début du spectacle ils semblent se présenter, nous raconter des choses sur leurs vies, parler de leurs musiques préférées, de leurs rêves. Les codes demeurent longtemps un peu flous, il semblerait qu’on entre avec eux dans une sorte de théâtre documentaire, frontal, sur un plateau blanc et lisse comme un ring de boxe. Mais très vite quelque chose cloche, les récits ne concordent pas. Le belge est suisse, la flamande normande, les identités circulent et j’avoue avoir été assez déboussolée au départ. Qui parle ?
L’exercice n’est pas sans danger.
Et puis progressivement, quelque chose se dégage ; sans doute que le tournant s’opère quand les quatre comédien.nes commencent à danser un genre de madison sur une musique nationaliste flamande, avec un enthousiasme terrifiant. Les prises de parole qui s’ensuivent commencent à se préciser : il s’agit avant tout de réussir à se mettre dans la peau d’un discours nationaliste, d’y croire et de l’incarner pendant quelques minutes pour parvenir à le comprendre de l’intérieur, à le cerner. Et aussi sans doute à saisir les points sur lesquels le discours vient nous toucher au fond, malgré nous, comme il active certaines fibres patriotiques secrètes et comment au milieu d’un discours sur la grandeur de la nation (grecque, en l’occurrence) et du patrimoine historique, de vraies larmes mouillent les yeux du comédien qui porte les mots d’un jeune nationaliste. De quoi sont-elles faites, ces larmes ? Elles en disent sans doute plus sur les motifs du succès de ces discours sur les masses que le raisonnement le plus construit. Le comédien s’y abandonne avant de commenter l’effet de ce discours sur lui : au cours du spectacle et de plus en plus, les comédien.nes semblent éprouver le besoin de revenir à leur propre parole pour mettre à distance les mots qui les blessent. L’exercice n’est pas sans danger.
Comprendre l’ennemi
C’est, qu’on le veuille ou non, une partie de l’esprit du temps.
Dans ces « paroles rapportées », on trouve de tous les sujets à la mode : l’immigration, la sécurité, les aides de l’Etat mal distribuées, le négationnisme, l’exaltation de l’identité nationale. Mais ce qui fait un « mal de chien », un « malecane », c’est bien la normalité de ces discours dans l’espace public, le fait que nous y soyons si habitué.es. Ils ne sont plus l’extrême, ils sont le ferment quotidien de la peur. Comment en sommes-nous arrivés là ? Les paroles rapportées ne sont pas des discours bien ficelés de politicien. Ce sont les paroles d’une génération, en l’occurrence plutôt jeune : c’est, qu’on le veuille ou non, une partie de l’esprit du temps.
Il faut saluer le parti pris audacieux et fort d’avoir fait porter ces paroles au premier degré, en ne leur donnant droit de cité que pour mieux mesurer la distance nécessaire à conserver avec elles, mais aussi la séduction dangereuse qu’elles opèrent. Pactiser avec l’ennemi, alors ? Non, plutôt se mettre en dialogue avec lui via cette incarnation sans dédain, donner à entendre sans donner de solution. Très naturellement il faudrait alors se tourner vers le public, comme le font les comédien.nes, en posant les questions de base, celles qui construisent tout, par exemple : qu’est-ce qui vous fait vibrer ?
On pourrait alors répondre, comme l’a fait un homme dans la salle : “être ici”.
- EXTRÊME/MALECANE, conception et mise en scène de Paola Pisciottano. Projet issu d’une recherche documentaire réalisée avec l’aide du Réseau de prise en charge des extrémismes et des radicalismes violents.