Avec son premier roman, Les théories sauvages, la jeune romancière Pola Oloixarac nous plonge avec brio dans la jeunesse argentine des années 2000.
Un roman inqualifiable. Tantôt philosophique, tantôt anthropologique, tantôt autobiographique, tantôt documentaire. Les théories sauvages est moderne sans tomber dans le modernisme. Deux intrigues distinctes qui maintiendront le lecteur éveillé tout au long du roman. Vont-elles se croiser ? La question ne nous quittera qu’à la dernière page…
Argentine des années 2000. D’une part, deux adolescents, laids, se construisant par opposition ou adhésion aux mouvements maoïste, communiste ou péroniste qui ont agité l’Argentine du XXème siècle. Une plongée documentaire dans la jeunesse argentine où sexe, drogue et internet s’entremêlent à des questions philosophiques (Rousseau, Kant, Hegel et d’autres sont constamment mis à contribution) sur la construction du moi et la place de la violence, prise au sens large et anthropologique du terme, dans l’affirmation de soi.
Si les adolescents ne se préoccupent que de leur propre entourage, ou au mieux de leur patrie, la jeune femme thésarde en philosophie, l’autre intrigue du roman, interroge la place de la violence non pas dans la construction d’un moi particulier, mais d’un moi commun, autrement dit la civilisation humaine. Persuadée d’être le trait nécessaire à l’aboutissement de la « Théorie des Transmissions Moïques », développée par son professeur de philosophie, elle se laisse guider par son admiration pour celui-ci. Une admiration où le désir charnel semble avoir rencontré l’amour platonique…
Les théories sauvages est assurément un livre iconoclaste. Malgré quelques tirades philosophiques parfois excluant, la jeune Pola Oloixarac insuffle un équilibre vertigineux dans son roman. Toujours à la limite, mais jamais trop. Pour ne jamais lasser le lecteur et de surcroît le surprendre, les monologues existentiels sont coupés soudainement par une sexualité pure, parce que brutale, qui transparait à travers la syntaxe et les mots si chers à la narratrice.
La jeune Pola Oloixarac insuffle un équilibre vertigineux dans son roman
Pas de héros, ni de méchants. Voilà la force de la jeune romancière qui manie l’ironie avec une justesse déconcertante. Les années 2000, la mode, les adolescents, les professeurs, la faculté, les révolutions et idéaux marxiste-communistes, les tourments d’une thésarde amoureuse de la philosophie : l’ironie rôde pour obliger le lecteur à prendre le recul nécessaire.
Pola Oloixarac ne nous laisse que difficilement entrer dans son livre, au prix d’efforts et de concentration, mais une fois dedans, la sortie peut s’avérer délicate tant la position privilégiée de sociologue-anthropologue que l’auteur offre aux lecteurs est intellectuellement stimulante.
Enfin un roman qui ne se contente pas d’être lu, mais qui pousse le lecteur, de plus en plus englué dans cette peinture vivante de l’Argentine des années 2000, à un questionnement permanent.
- Les théories sauvages, Pola Oloixarac, traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Guignon, Seuil, 256 pages, 21 euros