Depuis plusieurs années, la liberté d’expression en Algérie traverse une période sombre, marquée par une répression croissante qui muselle les voix dissidentes et restreint l’espace public. Ce climat oppressant dépasse les souvenirs du régime de Bouteflika, dont l’autoritarisme, bien que critiqué, paraît presque modéré en comparaison avec la situation actuelle. Les politiques répressives s’intensifient dans tous les domaines : artistique, littéraire et médiatique, imposant une chape de plomb sur la société civile. Ce n’est pas seulement une restriction, mais une mise sous tutelle de la pensée critique, affectant profondément la culture et les libertés fondamentales des citoyens.

L’arrestation de Boualem Sansal le 16 novembre dernier à Alger, ou encore l’exclusion des éditions de Gallimard du Salon international du livre d’Alger (SILA) le 11 octobre 2024, et de facto du récent roman de Kamel Daoud Houris, lauréat du Goncourt, sont loin d’être des faits isolés. Ces incidents illustrent une tendance inquiétante vers la censure et la répression de la liberté d’expression, marquant un tournant sombre dans la sphère culturelle et littéraire du pays. Cette minorité qui s’autoproclame porte-parole de la société semble déterminée à étouffer toute forme de pensée divergente. De plus, une statue en l’honneur d’Aksel, récemment installée à Khenchela, a été déboulonnée cette semaine. Ce chef berbère, également connu sous le nom de Koceila (ou Kusayla), était un chef berbère du VIIe siècle qui s’est opposé aux forces musulmanes lors de la conquête de l’Afrique du Nord.

Censure populaire : El Houaria, symbole de la résistance créative

Le roman El Houaria d’Inaâm Bayoud, lauréat du premier prix Assia-Djebar en langue arabe le 9 juillet 2024, a déclenché une campagne virulente de haine et de dénigrement. Depuis le 15 juillet, l’autrice algérienne subit des attaques de conservateurs et islamistes, y compris des députés, qui dénoncent les « atteintes à la morale » présentes dans l’œuvre. Ce roman, relatant la vie d’une jeune femme dans les milieux interlopes d’Oran des années 1990, est critiqué pour son langage cru et ses thèmes jugés indécents.

Cette condamnation, portée par une frange de la société civile et relayée par certains officiels, a entraîné la fermeture de la maison d’édition MIM le 16 juillet. Cet événement tragique pour la scène littéraire algérienne illustre la vulnérabilité des structures éditoriales face aux pressions idéologiques croissantes. En réponse, des intellectuels et écrivains se mobilisent pour soutenir Inaâm Bayoud et dénoncer l’intolérance. Ils réaffirment que la littérature, par son audace et sa capacité à briser les tabous, reste un pilier de la liberté.

Dans un contexte où chaque œuvre artistique devient un acte de résistance, El Houaria n’est pas seulement un roman, mais un symbole de défi face à une société minée par le conservatisme. Les voix qui s’élèvent pour défendre l’autrice rappellent que, même sous le feu des critiques, la littérature demeure un espace essentiel de liberté.

Éditions Koukou : un bastion de résistance littéraire

Depuis 2013, les éditions Koukou, spécialisées dans les ouvrages critiques, subissent une répression incessante. Perçue comme une menace par les autorités algériennes, la maison d’édition fait face à des interdictions, des intimidations et des pressions judiciaires. Malgré cela, Koukou Éditions persiste, incarnant une forme rare de courage dans un environnement de plus en plus hostile.

Le 6 novembre 2024, Koukou a annoncé que sa plainte pour « abus de fonction » contre une commission du ministère de la Culture avait été rejetée par le tribunal d’Hussein Dey. Cette plainte visait l’exclusion arbitraire de la maison d’édition du Salon international du livre d’Alger (SILA) 2024. Malgré cette décision, Koukou Éditions a choisi de faire appel, réaffirmant son engagement envers la liberté d’expression.

En juin dernier, une présentation de livre organisée par Koukou à Béjaïa a été interrompue, et certains ouvrages ont été saisis pour « non-conformité aux enseignements de la religion ». Ces événements soulignent un climat répressif où l’article 54 de la Constitution, garantissant la liberté de publication, est systématiquement ignoré. La détermination de Koukou Éditions à maintenir son activité témoigne d’une résistance exemplaire face à l’oppression.

Gallimard et l’exclusion culturelle

Lors du 27e SILA, organisé du 6 au 16 novembre 2024, la maison d’édition française Gallimard a été interdite d’accès. Cette décision est liée à la publication du roman Houris de Kamel Daoud, abordant les massacres des années 1990. Les autorités invoquent l’article 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui interdit de critiquer les institutions à travers ces événements.

Cette interdiction a suscité une indignation généralisée, mettant en lumière une stratégie visant à contrôler étroitement la production littéraire et à étouffer toute critique. En parallèle, la librairie Cheikh de Tizi-Ouzou a cessé ses activités après l’interdiction du livre L’Algérie juive, l’autre moi de Hedia Bensahli, aggravant le sentiment d’étouffement culturel.

Ces mesures ne visent pas seulement Gallimard, mais tout un écosystème culturel. Chaque livre interdit devient un symbole silencieux de résistance, rappelant que la censure ne peut annihiler l’impact de la pensée critique.

Kamel Daoud et la menace de l’extrémisme

Pour rappel, en 2014, on assistait à des répressions plus violentes que les actuelles campagnes médiatiques et les harcèlements en ligne. Le 14 décembre 2014, Kamel Daoud est devenu la cible d’une fatwa émise par Mohamed Ali Ferkous, une figure influente du salafisme algérien. Accusé de blasphème, Daoud a reçu de nombreuses menaces de mort, révélant un climat où la liberté de conscience est constamment menacée.

Le silence des autorités face à ces menaces a renforcé la peur parmi les intellectuels progressistes. Ce silence complice a créé un environnement hostile où l’expression libre est dangereusement restreinte. Les attaques contre Daoud ne visaient pas seulement un individu, mais tentaient d’étouffer toute une culture de la critique et de la libre pensée en Algérie. Cette situation reflète la fragilité des protections des droits humains et la nécessité urgente de défendre la liberté d’expression contre toute forme d’extrémisme.

En s’en prenant à Daoud, les extrémistes visent à étouffer la culture algérienne dans son ensemble.

En s’en prenant à Daoud, les extrémistes visent à étouffer la culture algérienne dans son ensemble. Cette affaire souligne l’urgence de protéger les intellectuels et de garantir un environnement où les idées peuvent circuler librement.

L’espoir face à l’oppression

En Algérie, la liberté d’expression subit des assauts constants : autoritarisme étatique, intolérance religieuse et censure culturelle. Pourtant, des voix courageuses continuent de se lever, rappelant que la quête de liberté est inaliénable. Chaque livre interdit, chaque initiative muselée devient un témoignage de résilience.

La lutte pour la liberté d’expression n’est pas qu’un combat individuel ; c’est une bataille collective pour préserver les fondements d’une société démocratique. Même sous une répression institutionnalisée, l’Algérie montre que l’aspiration à la liberté ne peut être éteinte. Chaque mot écrit, chaque livre publié est une victoire contre le silence imposé. Ainsi, l’Algérie, malgré les vents contraires, nourrit un espoir inébranlable pour un avenir où la liberté triomphe.