Auteur du plus célèbre des romans grecs modernes – Alexis Zorba, paru en 1946 – Níkos Kazantzákis (1883-1957) publie en 1906 son premier roman : le méconnu et singulier Le Lys et le Serpent. Lorsque Kazantzákis commence la rédaction de ce récit, il n’est alors âgé que de 23 ans. Ce bref roman, adoptant la forme du journal intime, décrit les états d’âmes violents d’un jeune homme en proie à une passion amoureuse aussi profonde que mortifère.
Ce récit, d’un lyrisme par moments exacerbé, illustre toute la violence et la radicalité des émotions qui meuvent une si jeune âme. Un lyrisme que seul autorise la jeunesse, en somme. En dépit de ces accents emphatiques immodérés, on sent sourdre à travers les lignes de cette confession une inquiétude menaçante, une angoisse cyclopéenne, des pulsions mortifères et des émotions très violentes.
Un narrateur anonyme, artiste peintre, évoque son attachement passionnel pour une femme aimée, femme dont on n’entend point la voix, conférant au récit une part de mystère importante. Qui est-elle ? Que pense-t-elle ? Qu’éprouve-t-elle ? A-t-elle conscience de ce qui agite son jeune amant ? Le narrateur, tourmenté par son désir, par cette passion, oscille entre un désir sauvage de possession de sa compagne et une soumission sacrificielle d’ordre presque mystique.
Le narrateur, tourmenté par son désir, par cette passion, oscille entre un désir sauvage de possession de sa compagne et une soumission sacrificielle d’ordre presque mystique.
L’influence probable des lectures incontournables par lesquelles passait alors, en ce début de XXe siècle, tout jeune aspirant écrivain, notamment les Illuminations et la Saison en enfer d’Arthur Rimbaud, est aisément perceptible. Le « Voyant » rimbaldien est présent au fil de ces pages, figure poétique et prophétique de celui qui semble avoir accès à d’autres paysages, d’autres souvenirs que les siens propres :
« Je porte en moi d’étranges mondes que je regarde nuit et jour »
Possession, soumission
Possédé par son amour, par ses obsessions mais aussi par ces « étranges mondes », le narrateur lentement s’enlise dans un chaos intérieur sans retour, fait d’images déroutantes, de pulsions noires, de pensées contradictoires. S’adressant – à travers son journal – à la femme aimée en la nommant par la majuscule ainsi qu’un dieu, il semble percevoir en celle-ci à la fois une très haute divinité mais a...