RENTRÉE LITTÉRAIRE. Traduit de l’italien par Louise Boudonnat, les éditions POL présentent le dernier livre de Marco Lodoli, Si peu. La narratrice de ce roman, concierge dans une école à Rome, s’éprend d’un jeune professeur de lettres, Matteo. Le roman de Lodoli fait ainsi le récit d’un amour à distance : la narratrice ne cesse d’aimer Matteo en secret, sur près d’un demi-siècle. Elle l’aime de loin, en silence, et suit ses moindres faits et gestes. D’emblée les déséquilibres sont frappants, et manquent de finesse : un personnage féminin, qui tient l’histoire mais qui n’a pas de prénom et reste dans une sorte d’anonymat – elle est invisible, silencieuse, elle le dit elle-même – et un personnage masculin fantasmé, dont le prénom ne cesse d’être scandé tout au long du roman, aux ambitions littéraires galvaudées, qui le porteront d’une petite gloire à la médiocrité. 

Si peu, Marco Lodoli

Une sentimentalité flétrie

Tout au long du roman, le lecteur ne peut qu’être frappé par ce rapport au féminin problématique, qui ne semble plus d’actualité. La narratrice de Lodoli est une femme obsédée par un professeur de lettres qui tout au long du roman ne connait pas même son prénom :

« Il m’a dit merci, tenez Caterina, c’était la première fois qu’il m’appelait par mon prénom et j’ai senti un frisson m’ébranler de la tête aux pieds, comme une crevasse s’ouvrant dans la glace. De rien, ai-je dit, et j’étais heureuse, j’avais absolument le sentiment d’exister, d’avoir reçu de l’univers le droit de rêver, d’aimer, même si je ne m’appelle pas Caterina. »

Ce qui interpelle, c’est la manière dont la narratrice elle-même ne cesse de se dévaloriser et de se rabaisser, dévalorisation qui, prise dans le regard enfermant de l’auteur masculin, rend problématique ce personnage féminin et sa sentimentalité mélancolique. C’est tout un discours sous-jacent sur la femme que charrie le roman de Lodoli, peut-être même sans le vouloir – une femme qui attend, qui se tait, qui observe et prend soin d’un autre à distance et n’attend pas de remerciements : « Naturellement je restais silencieuse, cachée, j’écoutais les réponses complaisantes de l’écrivain à ses lecteurs, les belles paroles que Matteo distribuait à tous. »

C’est tout un discours sous-jacent sur la femme que charrie le roman de Lodoli

La narratrice devient un personnage schématique, sans aucune aspérité, aux sentiments qui relèvent seulement du fantasmatique. Ce qui se joue ici, c’est un désir figé, qui se prend pour de l’amour, et qui revendique une conception de l’autre comme saint, comme être sacré, alors même qu’il atteint un niveau de déchéance flagrant : à la fin du roman la narratrice croise Matteo « sale », avec le « visage tuméfié », c’est un ivrogne, mais pour la narratrice il reste ce jeune professeur dynamique et plein de vie. La mélancolie rattachée au féminin par Lodoli pose ainsi problème et s’infiltre même dans la langue du texte, qui use d’un imparfait plombant, qui ancre le propos dans une sentimentalité dégoul...