Avec L’Histoire d’amour du siècle, Märta Tikkanen livre un témoignage poétique où la poésie se fait arme, confession et manifeste. Publié en 1978, et réédité en octobre par les éditions Cambourakis, ce recueil traverse les strates les plus intimes et les plus universelles de l’amour. Pour cause, il raconte, sans faux-semblant, la relation entre la narratrice et un homme alcoolique, dans un huis clos où l’amour côtoie l’épuisement, le désespoir et une résistance farouche. Le texte est alors à la fois profondément personnel et éminemment politique, s’imposant comme une œuvre incontournable sur la condition féminine, l’enfermement affectif et l’affirmation de soi à travers le langage poétique.
Tikkanen développe une écriture ancrée dans une tension constante, oscillant entre l’attente désespérée de l’autre et la conscience douloureuse de sa propre désintégration. Elle scrute et dévoile avec une lucidité implacable la mécanique répétitive des promesses trahies : « Petit à petit je n’ai peut-être plus vraiment cru à tes promesses de cesser. » Mais l’espoir persiste, irrationnel et tenace, qu’elle décrit comme un « flagrant délit d’espoir ».
Dans cette dynamique, l’amour n’a donc rien d’un refuge ou d’une source de consolation, mais se mue en une force presque implacable, nourrie par la désillusion et l’auto-illusion, une machine inexorable qui broie les attentes et les rêves. La narratrice confie : « Quand je ne crois plus et n’ai plus la force d’espérer, je ne me soucie pas de savoir si tu es sobre ou si tu bois. » Cet abandon marque un tournant décisif, où l’attachement, dépouillé de tout élan vital, devient une inertie douloureuse, un lien vidé de sa substance. Ce récit poétique déconstruit les idéaux romantiques pour en révéler les mécanismes destructeurs étant donné que l’amour ici ne libère pas mais piège sa victime, pouvant alors construire à l’intérieur de l’être les murs d’une prison intérieure, alimentée par la peur et la dépendance. « Nous ne nous séparons pas bien que nous le voulions, parce que nous ne pouvons toujours pas nous passer l’un de l’autre », résume-t-elle dans un constat glaçant.
Ce récit poétique déconstruit les idéaux romantiques pour en révéler les mécanismes destructeurs étant donné que l’amour ici ne libère pas mais piège sa victime
Violences omniprésentes : contrôle et normalisation
La violence est omniprésente, physique, psychologique, mais aussi symbolique. Tikkanen ne la dramatise pas, mais la déploie dans sa banalité insidieuse, notamment lorsqu’elle décrit la scène où le partenaire ivre brandit un tisonnier : « Un jour où tu étais soûl… tu criais en brandissant le tisonnier. » Pourtant, la narratrice ne cède pas à la terreur. Elle désamorce la violence par une humanité qui tranche avec la brutalité ambiante : « Tu t’es tout de suite calmé lorsque j’ai pris ta main. » Surtout, cette violence s’étend au-delà des gestes car elle s’inscrit dans un système de contrôle affectif, où la narratrice est enfermée dans des attentes qui ne sont pas les siennes. « Tu m’as enfermée dans une cage qui ne me convenait nullement », écrit-elle. Ce confinement est renforcé par l’intériorisation des oppressions, que Tikkanen dénonce dans un vers incisif : « Point n’est besoin de prendre soin de nous opprimer, car nous nous opprimons fort bien toutes seules. »
L’écriture comme acte de résistance
Face à cet enfermement, l’écriture devient un espa...