Dans Nonbinaires, recueil poétique en prose, Martin Page construit une œuvre à la croisée de l’essai et de la poésie, un texte qui lui-même refuse la binarité des genres tout autant que celle de l’analyse ou de l’émotion. La déclaration est donc à la fois intime et universelle : le récit personnel croise les enjeux politiques, sociétaux et existentiels. À travers des fragments de réflexion et des images puissantes, ce texte fait résonner une voix collective sans jamais nier les singularités qui la composent.

Nonbinaires, Martin Page

La critique des normes binaires traverse évidemment l’ensemble du livre comme un fil rouge. Le texte désigne la binarité de genre comme une construction sociale et culturelle utilisée pour « contrôler, assigner, simplifier, pour empêcher, hiérarchiser, dominer ». Cette simplification imposée, que le texte qualifie de « législation de la réalité », agit comme une violence systémique, un outil d’oppression qui efface les existences plurielles. Page n’élude cependant pas la complexité de la question. La binarité est aussi décrite comme un refuge pour certaines personnes : « c’est de l’invention aussi, de la construction, parfois une identité belle et juste ».

Le texte accueille la diversité des expériences tout en orientant sa critique vers les mécanismes de domination. L’injonction « Retirons leur pouvoir, leur sentiment de légitimité, leur confiance aux dominants qui font de la binarité une arme de terreur et d’oppression » formule une position politique sans ambiguïté : les structures qui maintiennent et renforcent la violence systémiques sont dénoncées.  

Le collectif, entre ambivalence et nécessité

La question du collectif occupe une place centrale dans Nonbinaires, où elle est constamment interrogée, parfois même avec une certaine méfiance. « Le groupe depuis l’enfance est un lieu de rapports de force et de pouvoir, de mépris de meute de violence », affirme le texte, avant de poser un verdict lapidaire : « nombre = danger ». Pourtant, cette défiance cohabite avec une reconnaissance de la puissance transformatrice du collectif : « Le groupe représente aussi de la protection, de la chaleur, des ressources, une solidarité indispensable pour bouleverser la société. Ensemble nous sommes fortes. » Cette dualité entre rejet instinctif et foi dans la puissance du collectif reflète une tension fondamentale : comment faire confiance à une communauté quand celle-ci a déjà blessé ? Comment avancer ensemble tout en respectant les fragilités individuelles ?

Le lien au groupe, bien que difficile, est présenté comme une nécessité pour porter des luttes communes et construire des alternatives aux systèmes oppressifs.

Ces contradictions sont assumées, comme en témoigne cette confession : « Ça reste compliqué pour moi, mais la vérité c’est que sous mon asocialité, ma misanthropie, je planque ma neuroatypie. » Le lien au groupe, bien que difficile, est présenté comme une nécessité pour porter des luttes communes et construire des alternatives aux systèmes oppressifs.

Résister en marge : le pouvoir des invisibles

Les identités marginales, celles qui ne se conforment ni à la norme ni à une idée préconçue du militantisme visible, sont au cœur de ce texte. En effet, leur présence interrog...