Dans le premier volume de sa Mélancolie des confins en quatre saisons, Mathias Enard nous entraîne à Berlin, au chevet d’une amie hospitalisée. Entre deux passages à l’hôpital, il erre dans les rues et raconte l’histoire d’une ville à travers sa géographie et ses grandes figures. Au risque de digresser parfois un peu trop… 

Mélancolie des confins, Mathias Enard

Il y a deux Mathias Enard : le romancier magnifique et le baladeur éclairé. Critiquer son œuvre peut devenir un crève-cœur en cas de déception tant elle est riche (par sa langue et son contenu) et originale à une époque où le récit de soi est devenu la norme dans la littérature contemporaine francophone. Pourtant, le premier est souvent plus lumineux que le deuxième, au moins pour ceux qui peinent avec les livres remplis de digressions, comme ceux de Grégoire Bouiller ou Thomas Clerc. D’ailleurs, peut-être faut-il lire ce roman comme on se promène dans une ville inconnue, à petit pas, sans l’urgence de rentrer chez soi. Parce qu’il y a beaucoup à voir et à ingérer (malgré les 300 pages) dans Nord, le premier arrêt de La Mélancolie des confins

Au chevet d’une amie, E., victime d’un accident cérébral, Mathias Enard revient à Berlin, dans une ville qu’il connaît bien, et cherche dans l’histoire et la géographie des distractions pour oublier son chagrin. Ainsi se mêlent dans le livre plusieurs histoires dans l’Histoire, à commencer par la bataille vers Berlin en 1945, puis celle de Stalingrad de 1942 à 1943. Ces pages sur la guerre, comme celles plus tard dans le livre sur le conflit entre l’Irak et l’Iran et la guerre civile en Syrie, sont les plus intéressantes. Mathias Enard raconte l’horreur de ces troupes piégées, puis massacrées. Il est question aussi de l’ampleur, que l’on semble oublier parfois, de ces affrontements (plus de deux millions de victimes pour la seule bataille de Stalingrad). Mathias Enard n’oublie pas non plus de condamner la violence des vainqueurs ayant bombardé inutilement l’Allemagne, alors que sa chute était annoncée, tuant des milliers de civils par pure vengeance. 

Un voyageur érudit qui n’oublie ni l’histoire ni les peuples

« L’acharnement vengeur britannique, sous les ordres d’Arthur “Bomber” Harris, dont la statue, à Londres, orne avec le monument à William Gladstone la charmante petite place devant l’église Saint Clement d’Aldwych, est responsable de crimes incompréhensibles, comme la destruction de Hambourg, de Dresde ou celle, le 27 février 1945, de Mayence, quand cinq cent mille bombes incendièrent la ville alors qu’Amér...