Comment écrire sur un roman qu’on a envie d’appeler, avec un peu d’emphase, un chef-d’œuvre ? De ceux qui tiennent éveillé des nuits entières, sans considération pour les journées du lendemain car la vie semble être plus réelle entre ses pages qu’au dehors. L’écriture de Michael Magee dans Retour à Belfast est une telle prouesse, qu’à la dernière page, il nous est difficile de concevoir que l’on tient entre les mains un premier roman. Dès les premières phrases, l’émotion tient le récit.

L’écriture de Magee est tranquille, presque nonchalante, mais elle n’en demeure pas moins incandescente. En des phrases d’une simplicité inouïe et une intrigue aux ramifications pas si complexes, le jeune écrivain irlandais parvient à capter des histoires et des états d’âme ancrés dans une ville portant les séquelles de plusieurs décennies de conflits entre catholiques et protestants – les traces souterraines des « Troubles ».
Avant de se laisser charrier par la langue de Michael Magee, surviennent trois exergues qui sédimentent l’ouvrage. La première s’ouvre sur un psaume de David : « Éternel ! je cherche en toi mon refuge : que jamais je ne sois confondu ! » ; la deuxième sur une citation du poète irlandais Ciaran Carson : « Le rebut s’enfonce dans la fange et retourne à la boue. » ; puis la dernière sur une citation de l’écrivain hongrois Lászlo Krasznahorkai : « Moi, je pense qu’il n’y a rien après […] il y aura juste une grande obscurité, une grande coupure de courant, et ensuite même cette grande obscurité s’éteindra. »
Des citations à l’avant-poste d’une vision assez lucide sur les choses de la vie et qui explorent les doutes qui traversent Sean, ce jeune homme de 22 ans qui revient dans sa ville natale après avoir terminé des études universitaires de lettres à Liverpool. De retour à Belfast, il est rattrapé par la douleur de sa famille. Il y a sa mère dont le corps est pétri de douleurs à cause des détergents qu’elle utilise chaque jour pour faire des ménages à l’autre bout de la ville. Et il y a son frère Anthony dont la douleur est partout, depuis son enfance, du corps au cerveau, qui le grignote, viscéralement.
Home sweet home
En opérant ce retour aux sources, Sean s’enracine de nouveau dans une ville que tous les natifs essaient de fuir. Quitter cette ville est le leitmotiv de tous les jeunes qui l’entourent, en témoignent sa copine Mairéad sur le départ pour Berlin, ou ses cercles de potes qui projettent de partir à l’autre bout de la terre, en Australie, à Melbourne, cette ville où échouent les backpackers en quête de sens. Mais Sean n’est pas de cette trempe. Il n’est pas intéressé par le fait de voir du pays. Il est trop agité intérieurement par des forces complexes, qui ne lui appartiennent pas.
Sean parviendra, par petites touches, à se désolidariser de ce que la ville a prévu pour lui et luttera pour faire de Belfast sa terre rêvée.
« C’était trois fois rien. J’ai balancé un coup de poing et il s’est écroulé. […] Puis j’ai ouvert mon livre et j’ai lu. » De la première à la dernière phrase, le roman de Michael Magee se révèle un mélange délicat de poésie et d’instantanés de vie. Retour à Belfast agit comme un très long poème. L’écriture, habile, fait naître de grands sentiments et nous enveloppe pour ne jamais nous quitter. Le lecteur fait corps avec Sean et le poids de ses secrets de famille, l’amour qu’il porte à sa mère et ses frères, et sa difficulté à conjuguer avenir et culpabilité. Nous nous retrouvons à Belfast, entouré des collines de Black Mountain, évoluant dans ses quartiers ouvriers, ses gares et son stade, Casement Park. Nous reconnaissons ses taxis, ses cimetières et ses bars comme si nous y avions écumé de nombreuses heures.
La scène initiale du roman, ce fameux coup de poing que Sean balance au visage d’un fêtard, Sean le décrit comme une évidence. « Ça » arrive. Lorsque les flics l’entourent, il lève les mains en l’air en assurant que c’est son adversaire « qui lui est tombé dessus ». Pourtant Sean est bien debout, tandis que l’autre est inconscient, par terre. Ce dernier ne s’expl...