C’est un bien curieux objet qu’offrent les éditions Denoël aux amoureux de Gombrowicz comme à ceux qui ne connaissent pas – encore ! – le génial auteur polonais. Livre illustré davantage que roman graphique, cette biographie très précise permet non seulement de suivre Gombrowicz dans tous les aléas de sa vie mouvementée, mais aussi de traverser le vingtième siècle au plus près de ses bouleversements.

C’est à la veuve de Witold Gombrowicz, Rita, que l’on doit ce projet de raconter la vie de l’écrivain polonais à la manière d’un « personnage tragi-comique » de bande dessinée. Elle a pour cela contacté le dessinateur de presse Wozniak et Andrzej Wolski, auteur de plusieurs documentaires sur Gombrowicz, pour réaliser ce livre. Moi, Gombrowicz est donc cet objet hybride où se mêlent dessins très expressifs et colorés, presque enfantins – ce qui n’aurait pas déplu un seul instant à un Gombrowicz fasciné par la jeunesse éternelle – et petites vignettes écrites d’instants de vie tirés des nombreux écrits de Gombrowicz lui-même. L’écrivain polonais avait longtemps tenu un journal dont on peut lire plusieurs extraits dans ce livre, ainsi qu’un recueil de textes, Souvenirs de Pologne, dont il avait commencé la rédaction à la mort de sa mère. Rita Gombrowicz avait, de son côté, dans ses cartons, une multitude d’archives, de quoi nourrir ce livre dense et précis qui permet, au mieux, de cerner l’écrivain.

Qui est-il, d’ailleurs, ce Witold Gombrowicz, né en Pologne en 1904, exilé en Argentine, un peu par hasard, un mois avant que sa Pologne ne soit envahie par Hitler, et qui rentra en Europe quelques années seulement avant de mourir, en juillet 1969, quelques heures à peine après que l’Homme a, pour la première fois, posé le pied sur la Lune. Le livre s’intéresse moins à l’œuvre (et c’est d’ailleurs la seule chose que l’on pourrait regretter) qu’à l’homme facétieux, provocateur, audacieux, qui s’amuse à tourmenter sa mère, qui s’amuse à créer des esclandres dans des réceptions littéraires bien trop guindées à son goût, et qui danse avec celle qu’il aime lorsque son asthme l’empêche de retrouver son souffle. Fils de bonne famille polonaise, vivant sans le sou en Argentine, puis artiste bohème et anachronique en Europe, Witold a traversé le siècle en se tenant à distance des tragédies, tout en s’en approchant assez pour les scruter — moins dans ses romans que dans son Journal.

“C’est là tout le relief de ce livre inclassable : inscrire la vie de Gombrowicz dans l’Histoire du vingtième siècle, comme si le destin de l’écrivain suivait la trajectoire de ce siècle chaoti...