Dans Much loved, censuré au Maroc, Nabil Ayouch peint le quotidien de trois prostituées à Marrakech. Face à la violence des hommes et du monde de la nuit, ces héroïnes tentent de garder la tête haute et rêvent d’un ailleurs plus clément…
Noha, Randa et Soukaina vivent de leurs corps. Dans les discothèques ou les soirées privées, elles se plient à tous les désirs des hommes pour gagner leur vie. Elles boivent, beaucoup ; se droguent, un peu ; et en profitent régulièrement pour chaparder quelques billets supplémentaires à leurs clients du soir. Romantiques ou sauvages, les jeunes filles jouent un rôle dans l’unique objectif de survivre.
Nabil Ayouch suit aussi les héroïnes dans leur quotidien fait de chamailleries, de réconfort et d’entraide. Elles sont protégées par Saïd, chauffeur de taxi attentionné qui leur sert à manger et les ramène toujours à bon port. Le réalisateur marocain jette ainsi un regard sans fard ni gêne sur ces prostituées. C’est ce qui a choqué dans son pays où Much Loved est interdit de projection. Selon le Centre cinématographique marocain, le film « comporte un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l’image du royaume ». Présenté à la Quinzaine des réalisateur au Festival de Cannes 2015, l’actrice principale Loubna Abidar a même reçu des menaces de mort.
« Cachez ce sein que je ne saurai voir »
Sans déclarations péremptoires, Nabil Ayouch montre bien les tiraillements du Maroc. Tout le monde sait que les prostituées existent. Elles sont même l’un des attraits touristiques du pays (Noha, Randa et Soukaina passent plusieurs soirées avec des Saoudiens venus exprès à Marrakech pour ses soirées d’orgies). Les Marocains eux-mêmes ne sont d’ailleurs pas en reste lorsqu’elles leur proposent leurs services… Mais lorsque la nuit s’achève, les travailleuses du sexe ne sont plus les bienvenues.
Une partie de la société marocaine n’a pas supporté le portrait dressée d’elle-même dans Much loved. « Il est plus simple de casser le miroir plutôt que de regarder son reflet » explique Nabil Ayouch à Philosophie Magazine. L’équipe du film affirme qu’elle ne s’attendait pas à un tel déferlement de haine, de menaces et d’injures. « Cette réaction catégorique laisse penser que la société marocaine a mal, très mal », conclu Nabil Ayouch.
Portrait réaliste
Pour tourner son septième long-métrage, le réalisateur a rencontré entre 200 et 300 prostituées afin de recueillir leur témoignage. Les actrices, elles, sont toutes issues de quartiers populaires où elles fréquentaient des prostituées dont elles ont pu s’inspirer pour composer leur rôle. Ainsi, Much loved ne sonne jamais faux. Magnifiquement interprété, il réveille en nous des sentiments contradictoires.
Il se révèle gênant, lorsque les filles défilent en dansant devant les Saoudiens pour que chacun choisissent sa « proie », ou qu’elles se jettent à terre en se battant pour récupérer les billets lancés dans la pièce par un riche client. Voire quasiment insupportable lors des scènes de violences.
Subtilement pourtant, Nabil Ayouch colore ce noir portrait. Il met en valeur l’entraide, l’amitié et la solidarité entre ses héroïnes
Subtilement pourtant, Nabil Ayouch colore ce noir portrait. Il met en valeur l’entraide, l’amitié et la solidarité entre ses héroïnes. Joyeuses et fêtardes, elles s’évadent en imaginant un ailleurs lointain et accueillant. La figure de Saïd, le chauffeur de taxi, veille sur elles tel un ange gardien. Nabil Ayouch ne les juge jamais. Pour lui, elles sont avant tout des femmes dignes.
- Much Loved, de Nabil Ayouch. Avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak, Halima Karaouane… Sorti le 16 septembre 2015.
- Nommé à la quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2015. Nommé eu Festival du film francophone d’Angoulême 2015.
Lola Cloutour