Myriam Bahaffou est chercheuse en philosophie féministe et militante décoloniale. Dans Éropolitique, elle sonde les relations entre désir, plaisir, écologie et politique. S’intéressant aux liens interespèces, l’autrice revendique une perspective intersectionnelle afin de saisir les enjeux environnementaux.

L’éropolitique contre le désir-conquête du capitalisme

La couverture du dernier ouvrage de Myriam Bahaffou, Éropolitique, attire le regard. Patchwork de couleurs, de matières et d’idées. Avec une deuxième et troisième de couverture en imprimé léopard, l’objet stimule notre curiosité et nos sens. Au vu du sujet, le pari semble réussi car le livre lui-même fait écho à une forme de sensualité. Le titre, ensuite, plein d’enthousiasme : Éropolitique. Écoféminismes, désirs et révolution, cela sonne comme une promesse que l’on voudrait saisir à pleines mains, on esquisse déjà une direction, une envie. 

Et l’on s’interroge : qu’est-ce que l’éropolitique et comment sera-t-elle si puissante ? Myriam Bahaffou, dans cet essai philosophique à la pensée riche et foisonnante, y répond en nous guidant autant qu’elle nous balade, au gré de ses lectures, de ses écoutes, de vécus intimes et de sa vision du faire-collectif. 

“L’autrice nous mène vers un érotisme comme nouveau rapport au mond et transgression collective.”

Sur le chemin ardu du désir, de l’éros, de l’érotisme et de la sensualité, avec un verbe cru au service d’une pensée alerte, elle mêle à la philosophie une pensée féministe et écologique et propose une nouvelle grille de lecture, et qui s’achève sur une éropolitique du twerk.

Il lui faut pour cela balayer les définitions étriquées qui restreignent l’érotisme au désir sexuel, aux rapports génitaux, auxquels il est cantonné par les systèmes de l’hétéropatriarcat, du capitalisme et du colonialisme. L’éros désigne étymologiquement la sensualité et l’amour ; or, comme le souligne  Myriam Bahaffou, « notre compréhension pornographique de ce terme démontre bien l’insuffisance de nos catégories ». L’autrice nous mène vers un érotisme comme nouveau rapport au monde, comme transgression collective et joie d’être en vie. Réflexion écologique, queer et décoloniale qui fait de la puissance désirante un moteur de l’action révolutionnaire, trop peu investie, selon elle, par certains milieux militants.

Ainsi montre-t-elle que l’érotisme est utilisé au service d’un capitalisme hétéropatriarcal et colonial, qui le rend désir-conquête. Désir-conquête, qui s’articule avec le triptyque besoin-consommation-satisfaction, duquel découle le « métro, boulot, porno, dodo ». Si le sexe y occupe une place centrale c’est parce que le capitalisme s’est emparé du désir, réduisant le plaisir à la consommation et le renouvelant à l’infini : « le travail est la tension, la consommation le soulagement. » Ainsi, le désir-conquête se rejoue-t-il dans les rapports hétérosexuels, dans le rapport à la terre par des relations de domination, de colonisation et d’exploitation...